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Publié le 23 Mars 2015

Même s’il a changé, le Front national reste un parti que nous devons combattre

« Non, je ne voterai jamais FN, ni n’inviterai Marine Le Pen à un dîner du CRIF »
 

Par Roger Cukierman, Président du CRIF, publié dans le Monde le 20 mars 2015
Angoisse, peur, pas peur, se fracasser, stigmatiser, arracher… A quelques jours des élections départementales, le Front national suscite à son encontre l’emploi de mots inédits. Certains mots sont parfois montés en épingle et les phrases dont ils sont extraits passées sous silence. Ce sont de mauvais procédés.
Non, je n’ai jamais voté FN, ni invité un dirigeant FN au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Non, je ne voterai jamais FN, ni n’inviterai Marine Le Pen à un dîner du CRIF.
Aujourd’hui, les mots visant le FN sont inédits parce que la situation est inédite. Il y a, bien sûr, les niveaux sans précédent, atteints par le FN dans les sondages et lors des récents scrutins. Mais ce n’est pas tout.
Le discours officiel du FN – celui de sa présidente et de sa garde rapprochée – a changé. Il est différent des discours du père, de ses compagnons historiques, de certains candidats FN récemment épinglés et probablement des discours de nombreux sympathisants qui parlent comme ils pensent, sans filtre, avec des relents racistes, antisémites, xénophobes ou homophobes. Certains considèrent, dans leur opposition au FN, qu’il est plus facile de faire comme si le parti de 2015 avait exactement le même discours que celui du XXe siècle. Je crois, pour ma part, qu’on ne construit pas d’opposition efficace sans lucidité ni honnêteté.
Comme des coucous
La situation est inédite aussi parce que la vie politique française est désormais structurée en trois pôles et parce qu’il est de plus en plus difficile de positionner ces trois pôles sur un continuum linéaire qui irait de l’extrême gauche à l’extrême droite. Les dirigeants du FN brouillent les cartes. Ils s’installent, comme des coucous, dans des mots, par exemple la laïcité. Ils les instrumentalisent et les dévoient. De façon très juste, le secrétaire d’Etat Jean-Marie Le Guen parle à propos du FN d’un projet « antilibéral » et d’un positionnement « socialisant ». C’est lucide et honnête.
Dans une France énervée, fâchée, le FN est un agrégateur de mécontentements. Il arrive que les dirigeants autour de Marine Le Pen expriment, sur un même sujet, des positions différentes les unes des autres. Les sympathisants ne leur en tiennent pas rigueur : chacun écoute le message qu’il a envie d’entendre et peu importe si un autre dirigeant du FN dit le contraire. Loin de l’affaiblir, les incohérences et les contradictions le renforcent et lui permettent de ratisser plus large.
Le FN de 2015 n’est plus un trublion ou un exutoire, à la différence de celui du XXe siècle. Il entend accéder au sommet de l’Etat. Il drague, pour cela, différentes catégories d’électeurs. Les Français juifs sont l’une de ses cibles, non pas pour leur poids électoral, qui est très faible, mais parce que leur vote consacrerait sa dédiabolisation, sa rupture avec l’antisémitisme, son souci démocratique pour les minorités au sein de la communauté nationale.
On a ainsi entendu Marine Le Pen déclarer en juin 2014 à Valeurs actuelles à l’attention des Français juifs que « le FN serait sans doute dans l’avenir le meilleur bouclier pour [les] protéger ». Je sais qu’une minorité de juifs est sensible à ces œillades. En ce qui me concerne, elles ne changent rien : le FN est non seulement un parti à éviter, mais aussi un parti à combattre.
Extrémiste
Une autre chose n’a pas changé. Le FN de 2015, tout comme le FN du XXe siècle, est un parti extrémiste : il veut une transformation radicale de la société et de l’économie. Que leur inspiration soit nationaliste, marxiste ou religieuse, de telles transformations sont toujours violentes, utilisent des boucs émissaires, réduisent les libertés et aboutissent à des catastrophes.
Dans le cas du FN, une victoire aux élections nationales appauvrirait la France et tous les Français car elle fermerait notre pays, le couperait de ses partenaires, l’isolerait dans le monde, le priverait de nombreuses exportations, éloignerait les investisseurs et conduirait à une destruction massive d’emplois. Au mieux, Marine Le Pen se renierait, tout comme Alexis Tsipras est en train de le faire en Grèce, après avoir promis la Lune. Au pire, elle tiendrait parole, sortirait la France de l’euro et l’enfoncerait à des niveaux jamais atteints.
J’entends certains dire que l’on a tout essayé sauf Marine. A ceux-là, je veux répondre qu’on n’utilise pas de la dynamite pour construire l’avenir d’un pays. Je n’oublie pas, non plus, que « les sympathisants du Front national et les électeurs de Marine Le Pen constituent l’univers politique et partisan où l’on trouve, et de très loin, le plus d’opinions antisémites et xénophobes », comme l’a écrit la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) dans une étude publiée fin 2014.
Les propositions, les élus et les candidats du FN sont des matériaux de choix pour la critique. L’opposition à ce parti, si elle veut être efficace, ne peut plus invoquer uniquement la République et la morale… Lire l’intégralité.
Source : http://www.roger-cukierman.com/tribune-de-roger-cukierman-dans-le-monde/