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À cause de la crise économique, c'est la première fois qu'on voit se constituer en Grèce un mouvement fasciste qui s'appuie sur une base sociale, s'inquiète le politologue Georges Sefertzis
Presque inconnu il y a deux ans, le groupuscule néonazi est devenu un parti officiel ayant pignon sur rue et sur les écrans. Il est constamment présent dans les médias, soit à travers les réactions de ses porte-parole, soit à travers les récits de leurs multiples actions et provocations. Les images sont généralement moins bucoliques que dans le Péloponnèse.
Début septembre, des groupes d'hommes en noir ont organisé des opérations de contrôle sur des marchés à Rafina, près d'Athènes, et à Missolonghi, dans l'Ouest. Ils ont demandé leurs papiers aux immigrants avant de saccager leurs stands. "Ils vendaient leurs marchandises au noir. Nous avons donc appelé la police plusieurs fois, mais elle n'est pas venue. Nous étions là pour défendre les autres vendeurs grecs", déclare Marlène Katinopoulou, une attachée parlementaire du parti. L'association des commerçants de Rafina s'est d'ailleurs félicitée de l'action d'Aube dorée.
Le Parlement a demandé la levée de l'immunité de trois députés du parti, dans le cadre d'une enquête sur ces exactions. "Nous attendons la justice. Le peuple grec pourra alors constater que l'on veut condamner des députés d'Aube dorée alors que les politiciens qui ont volé l'argent du peuple n'ont pas été jugés", réplique Mme Katinopoulou. Loin d'être affaibli par les critiques négatives à son encontre, le parti fasciste s'en nourrit. "Ces provocations jouent en la faveur d'Aube dorée dans le milieu auquel il s'adresse prioritairement : la petite classe moyenne qui s'appauvrit avec la crise", explique le politologue Elias Nikolakopoulos.
Dans un épisode plus connu, le porte-parole du parti, Elias Kasidiaris, a jeté en direct à la télévision un verre d'eau sur une députée de Syriza (gauche radicale), avant de gifler sa consoeur communiste et de prendre la fuite. Il s'est caché pendant deux jours, avant de reparaître en se présentant comme celui qui avait été agressé verbalement. Son geste l'a rendu populaire, car "il a été perçu non comme une gifle donnée à une femme, mais comme une claque envoyée au système politique", analyse Georges Tzogopoulos à la Fondation grecque pour les études européennes et étrangères, l'un des principaux cercles de réflexion grecs. "Avant les élections, les médias ont accordé beaucoup de temps d'antenne à Aube dorée. Plus les médias et les hommes politiques prenaient position contre cette formation, plus le parti engrangeait de soutiens", poursuit-il.
Dans une Grèce frappée de plein fouet par la crise économique et les mesures d'austérité, Aube dorée prospère sur le rejet de l'immigration et de la montée de la criminalité, même si elle est moins importante que dans d'autres pays européens. "Nous voulons aider le peuple grec qui souffre", insiste Marlène Katinopoulou. Bénéficiant d'un groupe parlementaire de 18 députés, le parti a droit à une subvention de 3 millions d'euros et à la protection des services de sécurité. "Nous allons rendre cet argent aux Grecs", affirme-t-elle.
Réseaux d'aide aux habitants
Sur le terrain, les militants d'Aube dorée ont tissé des réseaux d'aide aux habitants ; ils escortent les personnes âgées lorsqu'elles vont à la banque, font leurs courses, tout en menant des chasses aux immigrés dans ces quartiers. Le parti a également organisé des distributions de nourriture réservées aux Grecs et mis en place "une banque de sang grec", même si les médecins qui en bénéficient promettent de donner ce sang à tous leurs patients.
La prochaine étape de cette stratégie est la création d'un service d'aide à la recherche d'emploi, alors que le taux de chômage atteint 24 % de la population active. Le parti surfe sur la crise économique et progresse dans les sondages : il est désormais crédité de 9 % à 12 % d'intentions de vote selon les instituts. Tout en condamnant les plans d'austérité, il ne veut pas renoncer à l'euro. Pour le moment. "Quand nous aurons redressé nos capacités de production, nous pourrons revenir à la drachme", explique Mme Katinopoulou.
Au siège du parti, près de la gare de Larissi, dans l'un de ces quartiers d'Athènes qui tombe en décrépitude, jeunes et vieux se retrouvent pour une réunion d'information. Un pope attend patiemment. Marlène Katinopoulou, 27 ans, a adhéré au parti il y a deux ans, mais a toujours voté pour ce mouvement, fondé au début des années 1990. Avant la réunion, elle a suivi, en compagnie d'une demi-douzaine de femmes, un cours d'autodéfense prodigué par un homme au crâne rasé, à l'instar de nombreux membres du parti.
Depuis la dernière campagne électorale, le mouvement essaie d'adoucir son image et de se dissocier des attaques contre les immigrés. "Nous condamnons ces violences", assure Marlène Katinopoulou. Néanmoins, les agressions contre les étrangers se poursuivent. À la fin septembre, dans le nord de la Grèce, un homme a été condamné à huit mois de prison pour avoir attaqué un musulman qui collait des affiches antiracistes. Pendant l'agression, il a perdu son casque de moto et a été reconnu. Or, peu avant l'incident, il avait été vu en train de sortir des bureaux régionaux d'Aube dorée, même s'il affirme ne pas être membre du parti.
Le 25 septembre, le procès de Themis Skordeli, une ancienne candidate du parti aux dernières législatives à Athènes, a été de nouveau reporté. Mme Skordeli est mise en cause dans des attaques contre des Afghans. Quant au porte-parole d'Aube dorée, Elias Kasidiaris, il est soupçonné d'avoir participé à une attaque raciste. Son procès a également été reporté plusieurs fois.
Le parti récuse désormais les étiquettes de néonazi ou de fasciste. "Fasciste est un mot italien. Nous ne sommes ni italiens ni allemands, nous sommes grecs", commente l'attachée parlementaire. Son idéologie est un mélange de glorification du passé grec et de références à l'extrême droite. Le chef du parti, Nikolaos Michaloliakos, n'a pas hésité à mettre en cause l'existence des chambres à gaz dans un entretien télévisé après les élections, et il n'est pas rare de voir des photos d'Hitler dans le journal du mouvement. Quant au drapeau du parti, il rappelle étrangement l'étendard nazi.
"Aube dorée plonge ses racines dans l'histoire de l'extrême droite en Grèce, en faisant référence à la dictature des colonels [1967-1974], mais aussi à la collaboration pendant l'occupation allemande [1942-44] ", explique le politologue Elias Nikolakopoulos. "Le parti est fort dans les zones les plus touchées par la crise, mais aussi dans d'anciens fiefs des bataillons de sécurité", les milices armées par l'Allemagne pour lutter contre la résistance communiste.
"À cause de la crise économique, c'est la première fois qu'on voit se constituer en Grèce un mouvement fasciste qui s'appuie sur une base sociale, s'inquiète le politologue Georges Sefertzis. Les dictatures grecques étaient des régimes autoritaires sans enracinement social, Aube dorée s'adresse à une nouvelle génération qui n'a pas connu le régime des colonels, ne sait rien de la guerre civile qui s'est prolongée jusqu'en 1949, et identifie la démocratie à la corruption et au clientélisme des hommes politiques." Aube dorée n'a pas fini de hanter la Grèce.