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Publié le 4 Décembre 2014

Derrière la conférence de l’UNESCO sur la destruction du patrimoine en Irak et en Syrie, un appel universel à « l’alphabétisation culturelle pour la diversité »

Par Eve Gani, Directrice des relations internationales du CRIF

Le 3 décembre 2014 s’est tenue à Paris une importante conférence internationale sur le thème du la sauvegarde du  patrimoine et la diversité culturelle en Iraq et en Syrie, à laquelle se sont rendus des responsables de l’organisation Justice for Jews from Arab Countries dont Edwin Shuker, d’origine juive irakienne, mobilisé pour la protection de nombreux sites juifs en Iraq.  

«La culture et le patrimoine ne sont pas affaire de pierres et d’édifices – mais d’identité et d’appartenance », a rappelé la directrice de l’UNESCO Irina Bokova. Si, derrière chaque destruction de site, il y a la volonté de faire disparaître une mémoire bien particulière, celle la diversité intrinsèque de toute culture ; il y avait, pour chaque assistant de la conférence, un engagement fort contre ce mouvement régressif et pour la préservation de mémoires plurimillénaires. Exemplaires de cet engagement pour la sauvegarde de la diversité en Irak : Edwin Shuker, membre du JJAC, était assis au côté de Mizra Dinnayi, leader de la communauté yézidie.

Pour faire face à l’entreprise de destruction systématique opérée notamment par Daesh, « nouvel Ebola politique » (M. Staffan de Mistrua), en Irak et en Syrie, l’UNESCO a réuni à la tribune et dans l’assistance les principaux fonctionnaires internationaux de l’ONU chargés des dossiers Iraquiens, Syriens et de la prévention des génocides, mais aussi les responsables des grands musées dépositaires de trésor patrimoniaux comme Pergame (Berlin), le MET (New York) et le Louvre et des représentants des communautés dont Marc Knobel, directeur des études du CRIF, qui a dernièrement publié un numéro sur « Daesh » et Eve Gani, Directrice des relations internationales du CRIF, dont la Commission va prochainement lancer une audition de spécialiste d’éducation et de juriste sur la prévention des génocides.

Comme l’a déclaré Adama Dieng, Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONY pour la prévention du génocide : "Nous avons un sentiment d'urgence absolue face à la situation qui se déroule sous nos yeux. Il est plus que temps d'agir". Dieng a rappelé : « l’Etat syrien a failli » dans sa mission de protéger sa population. Mais « l’ONU aussi a failli » du fait de l’usage du droit de véto par certains pays au Conseil de Sécurité, nommément la Russie et la Chine, contre une intervention internationale qui aurait permis de protéger la population. Adama Dieng a rappelé avec force son soutien à la proposition française d’interdire aux Etats membres du Conseil de sécurité l’usage du droit de véto dans le cas de massacres de populations civiles.

L’UNESCO a montré par la tenue de cette conférence son engagement pour la protection de la diversité culturelle au Moyen-Orient. Mais comme on l’a vu avec l’attentat contre le musée juif de Bruxelles, le sujet de sa préoccupation nous est proche. En effet, le combat dont nous sommes les témoins n’est pas celui entre des civilisations polarisées et territorialement opposées (l’Ouest contre l’Est, ou l’Occident contre l’Orient): il y a plutôt d’un côté le sectarisme, et de l’autre côté, les sociétés marquées par la diversité et l’interconfessionnalité. C’est pourquoi le professeur Homi Bhabha, directeur du Mahindra Humanities Center de l’université Harvard, a appelé, dans l’enceinte de l’UNESCO, à une véritable et universelle « alphabétisation culturelle à la diversité ». Pour lui, il faut promouvoir le processus d’apprentissage de l’autre, de sa reconnaissance en tant qu’autre, avec quatre principes fondamentaux : empathie, reconnaissance du droit à la liberté, à l’intériorité et à l’expression libre. Ce n’est donc pas de grandiloquente « réconciliation de civilisations », abstraite, dont il est question, mais simplement et essentiellement, dans les mots de l’ambassadeur Morel de « culture du voisinage, du respect et de la réconciliation » qui devrait prédominer à l’avenir. Comment ne pas entendre la portée de ce message pour notre propre société française?

Le professeur Adnan Badran, représentant Sa Majesté El-Hassan Bin Talal de Jordanie, a quant à lui demandé à l’assistance de regarder en face « la cause du problème » : les défaillances de l’éducation et notamment celles afférant à l’interprétation de l’Islam. Se référant à l’idéologie djihadiste, Adnan Badran a demandé de « regarder en face cette idéologie de l’obscurité qui veut nous faire revenir à l’âge des cavernes » et s’attaquer à ses causes, par exemple la présence, dans certains manuels scolaires, de proverbes religieux interprétés pour conduire à la haine.

De manière générale, c’est la déconfessionnalisation des conflits que l’UNESCO, à travers la voix de l’ambassadeur français Morel, a appelé de ses vœux. Si les revendications politiques et territoriales peuvent être négociées, le délire des mobilisations fondées sur l’absolu des « religions sans culture » mène en effet à la destruction. Et dans ce cas, « il y a des choses qu’on ne peut simplement pas respecter ». Il faut criminaliser la diffusion de la haine, surtout quand elle usurpe le costume religieux.