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Publié le 24 Février 2003

Clément Weill-Reynal, journaliste* : <i>« On peut s’interroger sur les motivations qui poussent Le Monde Diplomatique, à prendre pour argent comptant tout ce qui vient des Palestiniens. »</i>

Question : Dominique Vidal publie une série d’articles pour un dossier du Monde diplomatique qui a été publié dans le numéro de décembre 2002 : « Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël. Au nom du combat contre l’antisémitisme. » Dominique Vidal se demande si l’on peut critiquer la politique palestinienne du gouvernement Israélien et lui opposer les principes du droit international sans passer pour antisémite. Sur ce point précis, que pensez-vous de son questionnement ?



Réponse : Je réfute totalement la manière qu’a Dominique Vidal de poser les termes du débat. C’est lui qui précisément introduit la question de l’antisémitisme dans le débat sur la guerre israélo-palestinienne. C’est une manière très perverse de fausser le débat en accusant ses contradicteurs d’avoir soulevé une question que l’on a soi-même posée. En ce qui me concerne je préfère m’en tenir à la seule question importante pour un journaliste : l’exactitude des faits et des arguments.

Or, il me semble bien, après avoir examiné la question, qu’Israël ne viole pas la légalité internationale contrairement à ce qu’affirme la propagande palestinienne. Je ne lui en fais pas grief. C’est de bonne guerre, si j’ose dire. En revanche on peut s’interroger sur les motivations qui poussent Le Monde Diplomatique, à prendre pour argent comptant tout ce qui vient des Palestiniens.

Prenez, l’exemple des colonies. Chacun est libre d’en penser ce qu’il veut. On peut légitimement estimer que ces colonies sont une mauvaise chose et que les Israéliens commettent une erreur politique en favorisant leur expansion. Mais reprendre bêtement l’argumentation palestinienne selon laquelle ces colonies sont illégales parce qu’elles violeraient la quatrième convention de Genève sur la protection des populations civiles est une ineptie. Je ne suis pas certain que Dominique Vidal se soit donné la peine de consulter le texte de cette convention et de vérifier s’il s’applique effectivement au problème des localités juives de Judée Samarie et de Gaza.

Je connais l’article de cette convention invoqué par les militants de la cause palestinienne pour condamner Israël. Il interdit effectivement à une puissance occupante de « déporter » ou de « transférer » sa propre population sur le territoire qu’il occupe. Mais je crains pour Dominique Vidal, et je suis prêt à en débattre avec lui, qu’en aucun cas on ne puisse accuser Israël d’avoir « déporté », ni même « transféré » en masse sa propre population sur ces territoires. Les Juifs qui ont décidé de s’y établir, l’ont fait de leur propre initiative et individuellement. Manifestement, il ne s’agit ni de déportation, ni de transfert. En politique, on peut éventuellement jouer sur les mots. Pas en droit. Pardon d’avoir été un peu long. Mais je tenais à développer cet argument pour tenter de montrer à quel point l’argumentation du Monde Diplomatique est à mon sens biaisée.

Questions : Dominique Vidal épingle quelques intellectuels qu’il classe politiquement de l’extrême droite à la gauche. Il cite notamment, sans faire de distinguo et dans un même patchwork les Alexandre Del Valle, Jacques Tarnero, Frédéric Encel, Maurice Szafran, Michel Darmon, Elisabeth Schemla, Roger Cukierman, Jacques Kupfer, Pierre-André Taguieff, Alain Finkielkraut, Gilles-William Goldnadel, Jean-François Strouf... Il vous accuse d’utiliser tous les moyens pour disqualifier ou écarter les journalistes « qui s’efforcent de rendre compte honnêtement du conflit israélo-palestinien ». Que pensez-vous de cette affirmation ?

Réponse : La technique de l’amalgame n’est jamais bonne. Pourquoi dresser des listes ? Pourquoi ne pas débattre individuellement avec chacune des personnes citées ? Le Monde Diplomatique « s’efforce-t-il de rendre compte honnêtement du conflit israélo-palestinien » ? Je ne sais pas trop quoi penser de ce genre d’affirmation qui n’engage que son auteur. Mais j’ai envie de le prendre au mot. « Honnêtement » avez-vous dit ? Mais pouvez-vous m’indiquer un numéro du Monde Diplomatique qui invite le lecteur à réfléchir sur le problème israélo-palestinien de manière contradictoire ? Les thèses du Likoud mériteraient-elles d’être exposées au moins une fois par l’un de ses défenseurs, ne serait-ce que pour être mieux réfutées ? Je n’ai pas le souvenir d’avoir lu récemment une tribune d’un chercheur sérieux exposant de manière claire et « honnête » la lecture que la droite israélienne a du conflit ? Honnêtement, ça vaudrait le coup. Au lieu de cela, j’ai l’impression que Le Monde Diplomatique présente le conflit de manière totalement unilatérale comme n’importe quel journal de propagande. Et n’hésite pas à caricaturer la politique du gouvernement israélien en diabolisant Sharon.

Question : Dominique Vidal se demande pourquoi, selon lui, certains d’entre vous transforment les médias en boucs émissaires, responsables des violences antisémites. Que pensez-vous de cette remarque ?

Réponse : Je comprends l’embarras de Dominique Vidal. Mais les faits sont têtus. Au même moment ou la guerre israélo-palestinienne a éclaté, une vague d’incidents anti-juifs a balayé l’Europe et en particulier l’Europe. Le lien entre l’Intifada et ces violences n’est contesté par personne. Est-il interdit d’essayer d’en comprendre les mécanismes ? Ceux qui ont perpétré ces violences (en majorité des jeunes arabes et musulmans français) ne réagissaient pas directement à l’Intifada puisqu’ils ne sont pas palestiniens et ne subissent pas l’occupation israélienne. Ils réagissaient à une vision du conflit qui leur était transmise par les médias français qui globalement rendaient, particulièrement au début des événements, les Israéliens responsables de ces violences. Mais curieusement, ces réactions n’ont pas visé des cibles israéliennes identifiées comme telles sur le territoire français (ils auraient pu par exemple s’en prendre à une agence d’El-Al ou a une représentation commerciale). Non, les victimes de ces exactions ont été exclusivement des cibles juives parfaitement identifiées dans leur symbolique religieuse. Des restaurants et des boucheries casher, des synagogues, des rabbins marchant dans la rue, des porteurs de kippa. Avouez que cela mérite au moins de se poser des questions ! Quel message subliminal a-t-il poussé ces jeunes excités à s’en prendre à des juifs religieux ? La presse n’a-t-elle pas dérapé, au moins à certaines époques ? Je suis prêt a fournir à monsieur Vidal des exemples très flagrants d’incitations à la haine anti-juive qui ont été publiées récemment dans de grands journaux français à propos du conflit israélo-arabe.

S’interroger sur les mécanismes de ces violences est-ce tomber dans la logique du bouc émissaire ? Je ne le crois pas. Serait-il du dernier mauvais goût de s’intéresser au lien de causalité entre un discours d’incitation à la violence et le passage à l’acte de certains esprits que l’on qualifie de « faibles » ? Lorsque des violences anti-arabes sont commises en France Le Monde n’hésite pas à dénoncer les discours haineux de l’extrême droite.

Question : Que pensez-vous de quelques propos de l’article lorsque l’auteur désigne pèle mêle les manifestants du Prix de la désinformation, les animateurs d’un site Internet raciste, des actions judiciaires, des points de vue et opinions émises ici ou là ?



Réponse :
Oui, comme je vous le disais, amalgamer des contre vérités n’a jamais fait progresser le débat. C’est tout simplement ridicule !

Question : Que pensez-vous de la grave accusation qui est faite ou est sous jacente et qui transparaît de temps à autre dans plusieurs publications (Le Monde diplomatique, Témoignage Chrétien) selon laquelle il pourrait y avoir un début de collusion entre militants pro israéliens et l’extrême droite ?

Réponse : Autrefois, lorsqu’on voulait noyer son chien on l’accusait d’avoir la rage. Aujourd’hui on trouve une nouvelle formule magique : c’est « l’extrême droite » ; à toutes les sauces. Lorsque vous voulez discréditer quelqu’un il suffit d’évoquer ses liens avec l’extrême droite. Personnellement, je n’ai bien évidemment aucune complaisance pour les thèses de Le Pen que j’exècre, faut-il le rappeler ? Mais je suis aussi inquiet par l’indulgence dont on fait preuve vis-à-vis du terrorisme islamique.

Question : Que représente pour vous Le Monde diplomatique ? Et la ligne qui est suivie par son Président, Ignacio Ramonet ?

Réponse : Je ne sais pas. Je ne collectionne pas tous les numéros. Il m’est arrivé de m’endormir en essayant de lire un article jusqu’au bout. C’était si mes souvenirs sont exacts une ode à la gloire de Fidel Castro et du régime cubain. J’ai cru à un poisson d’avril mais c’était le numéro de juillet. Peut-être qu’Ignacio Ramonet ignore que Fidel Castro a tué plus de Cubains qu’Ariel Sharon de Palestiniens ?

Propos recueillis par Marc Knobel

Observatoire des médias

* Clément Weill-Reynal est également le président de l’Association des Journalistes Juifs de France.

Les propos des personnes interrogées n’engagent qu’eux-mêmes