Jean-Pierre Allali
Réinventer les aurores, par Haïm Korsia (*)
Les Juifs de France ne réalisent pas toujours la chance qui est la leur d’avoir pour Grand rabbin et pour guide spirituel un homme jeune-il est né en 1963 à Lyon-, brillant et dynamique, un fan d’aviation qui effectua son service militaire dans l’armée de l’air à Toul puis à Contrexéville.
Dans ce livre, Haïm Korsia se propose, comme le titre l’indique, de réinventer les aurores. Qu’est-ce à dire ? L’auteur s’en explique dès l’introduction de son bel ouvrage : « Réinventer les aurores, c’est retrouver le souffle des premiers matins de la République : s’éveiller et s’émerveiller, lucides mais jamais désespérés ». Il s’agit, à l’aune d’une longue fréquentation des textes bibliques et de la littérature profane, des acteurs de la vie politique, des poètes et de nombreux citoyens de toutes conditions, de faire le point sur l’état du monde pour envisager sereinement une nouvelle orientation, un nouvel élan, un nouveau départ. La poéthique, mot-valise qui allie poésie et éthique, bien épaulée par le judaïsme, qui joue le rôle d’avantage collatéral, un bonus, en somme, permet le regard neuf et énergique que Haïm Korsia se propose de jeter sur le monde.
À l’heure où la planète est complètement déboussolée par un mal aussi sournois qu’insaisissable, le Grand rabbin de France veut définitivement tourner le dos au renoncement. Face aux grandes questions que se pose le monde d’aujourd’hui, il veut échanger, espérer, rêver afin que de nouveaux possibles puissent être inventés.
« Vous ne trouverez pas ici le livre d’un Juif pour les Juifs, mais la réflexion que peut offrir un homme porteur de la part juive de la France, s’adressant à l’ensemble de ses concitoyens ». Et, pour le dire encore et autrement : « Je veux proposer un manifeste contre l’indifférence, un plaidoyer pour la fraternité, une politique de la jubilation et du bonheur retrouvé ».
Sous la plume alerte du Grand rabbin Korsia, on passe de Gaston Bachelard à Moïse, de Guillaume Apollinaire à Paul Valéry, des Maximes des Pères à la sociologie d’Émile Durkheim, d’Emmanuel Levinas à Emmanuel Macron, de Jacques Chirac à Élie Buzyn, de Hegel à Bernard-Henri Lévy et d’Abraham à Victor Hugo.
L’analyse de l’antisémitisme, notamment à la lumière de l’assassinat de Lucie Attal-Halimi, en avril 2017 ou des profanations de tombes juives conduit à affirmer, avec Charles Péguy, que nos âmes ne s’y habitueront jamais.
Haïm Korsia, dans sa monstration, n’hésite pas à prendre des exemples concrets : le combat des ouvriers de l’aciérie d’Ascoval, la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la révolte des Gilets Jaunes, l’éventuelle transformation de l’ENA, l’écologie et la technologie, les problèmes du monde agricole et les promesses de l’intelligence artificielle. Ou encore la question des GAFA, la laïcité, la place de l’islam en France, le rôle de la SNCF et celui de la Caisse des Dépôts.
On croise au fil des pages Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, Raphaël Enthoven et Marion Maréchal, Georges Hansel, mais aussi Rabbi Yehouda, Rabbi Chimon et Rabbi Yossi.
Une réflexion magistrale qui incite à une « espérance pour chacun ».
Époustouflant !
Jean-Pierre Allali
(*). Éditions Fayard. Mars 2020. 208 pages. 17 €.