Jean-Pierre Allali
Loin de Sils Maria*, de Michèle Kahn
Michèle Kahn est l’une des plus grandes romancières françaises contemporaines. En témoignent les dizaines d’ouvrages qu’elle nous a offerts au long des années, dont plusieurs en rapport avec le judaïsme. Des « Contes et légendes de la Bible » (1) au « Rabbin de Salonique (2) en passant par « Shanghaï la Juive » (3), « Le Shnorrer de la rue des Rosiers » (4), « Moi, reine de Saba » (5), « Justice pour le capitaine Dreyfus » (6) ou encore « Le rabbin de Salonique » (7).
C’est un tout autre sujet que ceux qu’elle traite habituellement qu’elle nous propose dans son nouveau roman en nous transportant au cœur de l’Europe, dans la République des Grisons, pays aux cent lacs et aux trois cents glaciers, du côté de Sils Maria, là même où le philosophe Friedrich Nietzsche composa une grande part de son œuvre, dans le hameau de Sils Baselgia où, naît, en 1773, le petit Gian Josty, premier enfant de Barbla Castelmur et Michel Josty, deux protestants, pauvres mais laborieux.
Après avoir été chevrier, Gian, à la suite d’un incident, décide des rejoindre son oncle Jacob dont on dit qu’il a réussi dans la confiserie à Magdebourg. Abandonnant sa famille et, surtout sa dulcinée, Ladina, le jeune Gian va parcourir des centaines de kilomètres à pied pour rejoindre son parent et devenir, à son tour, un grand « Zuckerbäcker », un « Boulanger-Sucrier ».
Michèle Kahn nous raconte cette histoire vraie avec talent et dans une écriture agréable, n’hésitant pas, au passage, à multiplier les anachronismes en nous parlant d’événements qui surviendront un ou deux siècles plus tard dans la région où se déroule son récit. Ainsi, elle nous signale, à propos de la ville d’Anspach ou son héros est de passage, qu’en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, la cité comportera une petite communauté juive de 197 personnes et qu’en juillet 2016, un kamikaze de Daesh s’y fera exploser devant un restaurant, blessant une quinzaine de personnes. Elle nous précise aussi qu’Anne Franck racontera, dans son fameux journal, qu’elle séjournera dans la région en 1935 et 1936. Sans oublier les centaines de personnalités, d’Albert Einstein à Marc Chagall en passant par Richard Strauss et Arthur Honegger qui fréquenteront, au 20ème siècle, les beaux palaces de la région.
Gian, devenu Johann va se lancer à corps perdu dans son nouveau métier. Bientôt, aucune préparation n’a de secret pour lui. Aucune sucrerie ne lui résiste : dragées, sucres d’orge, pastilles, pralines, massepains, meringues, cornichons confits, sirops de fruits, pâtes de fruits, biscuits divers et variés. Sans oublier les pièces-montées, véritables pyramides de trois étages, délicieusement fourrées et surmontées d’une jolie fleur en sucre.
En 1796, Johann réalise enfin son rêve. Avec son ami Andrea, il ouvre à Berlin la Zuckerbäckerei Johann Josty & Co qui plus tard deviendra le Café Josty. L’établissement fournira la reine et la cour et, en 1803, Johann fera son entrée dans le monde en assistant à un concert à l’Opéra. Bien qu’il pense toujours à son amour d’enfance, Ladina, Johann s’éprend d’une jolie bourgeoise juive, Caroline Isemer qui a promis à ses parents de n’épouser qu’un coreligionnaire. Qu’importe, les amants connaîtront le bonheur et Caroline, Lina, mettra au monde, en 1807, une petite Johanna puis, en 1814, sa sœur, Ida.
Le 13 janvier 1813, Johann et Caroline convolent en justes noces dans un temple protestant sans, toutefois, que Lina ait à se convertir.
De retour au pays natal, Johann retrouvera Ladina, désormais veuve, et assistera au mariage de sa fille Madlaina. Il bâtira, pour sa petite famille, un véritable palace de trente chambres, le Palazzo Josty.
Johann Josty, Baps Dal Povers, « Le père des pauvres », a quitté ce monde le 5 septembre 1826. Il avait 54 ans.
Une belle histoire dans laquelle l’empereur Napoléon Bonaparte, avec ses qualités et ses défauts, ses victoires et ses défaites, ses réalisations et ses échecs, occupe une place privilégiée, racontée avec beaucoup de talent.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Le Passage. Avril 2018. 172 pages. 19 €.
(1) Editions Pocket, 1994 et 1995.
(2) Editions du Rocher, 2010.
(3) Editions Flammarion, 1997 et Le Passage, 2015.
(4) Editions Bibliophane/Daniel Radford, 2000.
(5) Editions Bibliophane/Daniel Radford, 2005.
(6) Editions Oskar, 2006.
(7) Editions du Rocher, 2010.