"Madame la représentante de la Maire de Paris,
Monsieur le ministre plénipotentiaire de l’ambassade d’Israël,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs
Chers amis,
Comment ne pas commencer par vous dire mon émotion d’être à vos côtés au cimetière Parisien de Bagneux, lieu de mémoire s’il en est, pour témoigner de notre fidélité mémorielle à ceux qui ont disparu, victimes de la barbarie nazie, 6 millions de femmes, d’hommes et d’enfants privés de sépulture et dont cette stèle érigée par la mairie de Paris sera le témoin pour les générations futures.
Emotion d’être ici devant ce monument, sous lequel reposent soixante-six soldats juifs choisis symboliquement parmi des milliers d’autres victimes, érigé à la gloire de ces combattants tombés au champ d’honneur pour la liberté et l’amour d’un pays qu’ils avaient fait leur : la France.
Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est bien sûr pour nous nous souvenir.
Se souvenir pour rester vigilants,
Se souvenir pour combattre toutes les résurgences de l’antisémitisme, qu’elles viennent de l’extrême droite, de l’extrême gauche sous couvert d’antisionisme, ou de l’islam radical.
Cher Henry et chers amis du Farband, vous avez fait de cet évènement un moment incontournable de notre mémoire collective.
Chaque année, le Crif s’associe à la cérémonie que vous organisez.
Le mandat que je débute s’inscrit à l’évidence dans cette tradition.
Il ne fait aucun doute pour moi que les Français juifs vivent la situation la plus fragile de leur histoire depuis la tragédie que nous commémorons et dont je me sens pleinement dépositaire.
Cette cérémonie du Yizkor qui précède Yom Kippour est un moment destiné à honorer le souvenir et la mémoire de nos proches.
Ce matin, nous nous souvenons que notre existence a été mise en péril au point qu’un pan entier du judaïsme européen a été englouti.
Comment concevoir, demain, la mémoire de la Shoah sans témoins vivants ? Comment faire alors pour que la Mémoire ne se réduise pas simplement à l’Histoire, dans une inscription aseptisée et lointaine ?
Comment allons-nous à présent relever le défi qui nous est donné, être les témoins des survivants, les témoins des témoins disparus ?
C’est cet immense défi auquel nous renvoient les disparitions progressives des derniers témoins.
Je pense bien sûr à Elie Wiesel, et à Samuel Pisar mais aussi à Charles Baron qui vient de nous quitter et dont je salue avec émotion l’inlassable volonté de témoigner.
La Shoah est un génocide dont le monde se souviendra. La question qui nous préoccupe est : comment ?
La dimension éthique qui entoure ce drame ne peut se fondre dans la froideur de l’historiographie. C’est à nous que revient le rôle de passeur, c’est nous qui avons entre nos mains le flambeau de la transmission.
Comme l'histoire ne se réécrit pas, elle doit être portée et rappelée en incluant dans ce récit une dimension éducative, pédagogique, et politique.
Ma conviction est que ce défi est d’autant plus ardent que nous sommes entrés dans une ère où la mémoire de la Shoah est menacée par les affres de la concurrence mémorielle.
Minimisation, banalisation, relativisation ou tout simplement négation de la Shoah : la contestation de la mémoire de la Shoah est aujourd’hui au cœur des discours de l’antisémitisme contemporain.
Dieudonné accuse la Mémoire de la Shoah d’empêcher l’affirmation de la mémoire de l’esclavage. Des antisionistes accusent Israël de commettre un génocide pire que les nazis. Les exemples ne manquent pas où la mémoire de la Shoah est retournée contre les Juifs et Israël.
Je fais partie de ceux qui pensent que la Mémoire de l’Autre, quel qu’il soit, n’est pas la source d’un problème, mais, au contraire, toujours le cœur de la solution.
Ce dialogue des Mémoires consiste à comprendre l’Autre dans ses blessures cachées et ses non-dits, dans ses douleurs interdites et ses traumatismes.
Il constitue une invitation à la vigilance face aux répétitions de l’Histoire et aux dangers de la concurrence mémorielle.
Si nous croyons toujours aux vertus de l’enseignement et de l’éducation, nous savons aussi que les mots de la haine ne sont pas sans conséquence.
Que se passe-t-il aujourd'hui en France pour que les enfants juifs quittent l’école publique ? Ou qu’ils quittent leur quartier et parfois même leur pays ?
Il est indispensable de voir les défis tels qu'ils sont, pour apporter les réponses les plus justes, en s'appuyant notamment sur l'éducation face à la haine et à l'obscurantisme.
L’école doit remplir pleinement son rôle dans l’éducation contre l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie et veiller scrupuleusement aux contenus pédagogiques et aux manuels scolaires.
Il est essentiel que les jeunes soient mieux protégés des contenus antisémites sur Internet et sur les réseaux sociaux et qu’ils produisent leurs propres anticorps pour rejeter eux-mêmes ces contenus.
L’histoire de la Shoah doit faire l'objet d’un enseignement réfléchi et ancré dans la réalité.
Les dérives récurrentes prennent souvent racine dans l’ignorance et il est inconcevable de s’y résoudre.
Je nourris la conviction que nous ne lutterons efficacement contre l’antisémitisme que si et seulement si nous luttons aussi contre toutes les haines, et toutes les discriminations.
Et que cette lutte ne sera efficiente que si et seulement si nous voyons et nommons les réalités telles qu’elles sont, sans excuser, ni stigmatiser.
Mesdames et messieurs,
J’ai confiance en l’avenir.
Le Crif a été créé en 1943, dans des circonstances dramatiques, mais avec un objectif précis : préparer le lendemain.
Si, en 1943, des hommes dans la tourmente ont envisagé le futur alors qu’ils risquaient une fin tragique à chaque instant, nous qui vivons dans des temps tout de même moins difficiles, nous avons l’obligation de réussir.
Nous devons à la fois nous battre et construire en continuant de prendre part à la société française.
Nous devons, en quelque sorte, actualiser le passé en suivant le sens de l’histoire que nous guettons toujours avec vigilance.
Je vous remercie."