Tribune
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Publié le 13 Février 2014

Les « perles » et les mensonges de Dieudonné

Tribune de Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Etudes du CRIF

 

Dieudonné ? « Un passionné de l'oseille qui s'est payé la tête de beaucoup de monde, ces dernières années, à commencer par celle de ses adeptes » : c'est ainsi que le Canard enchaîné décrit Dieudonné dans son édition du 12 février 2014. L'hebdomadaire a mené l'enquête sur les finances de l'humoriste, qui n'en finit pas de demander de l'argent à ses fans. Dieudonné a récolté 561.000 euros avec son premier appel aux dons en janvier 2013 et a ainsi racheté sa résidence de Saint-Lubin-de-la-Haye en Eure-et-Loir. Il a récupéré son bien, mis aux enchères pour non-paiement d'une dette fiscale s'élevant à 887.135 euros, grâce à la solidarité des 1.761 fans qui ont sorti leur chéquier. Parmi les donateurs, un ouvrier qui lui a envoyé 25.000 euros, ainsi qu'une administratrice de société de la région nantaise, qui lui a prêté 165.000 euros et ne précise pas au Canard enchaîné si elle a été oui ou non remboursée (1). On apprend aussi que le polémiste a déposé les quelques 40 chèques envoyés par ses fans sur un compte de la Banque Populaire à son nom, avant de virer l'argent sur le compte de sa compagne, Noémie Montagne, qui a elle-même fait un transfert vers La société de production de Dieudonné : La Production de la Plume. Le journal, diffuse des documents qui montrent « que la farce ne se limite pas aux 600.000 euros et 15.000 dollars, tout en liquide, découverts chez celui qui pleure misère » Fort du succès du premier, le polémiste a organisé un second appel aux dons en décembre 2013, alors qu'il doit régler 65.000 euros d'amendes pour ses diverses condamnations. En plus des dons, Dieudonné renfloue ses caisses en vendant à son fan club antisystème des produits dérivés à prix d'or : 20 euros le tee-shirt "quenelle" qui lui coûte 4,4 euros à la fabrication (2).

On l’aura donc compris, le petit commerce juteux de Dieudonné a payé, une trop belle machine à cash. Comme le disait le Ministre de l’Intérieur, le 31 décembre sur RTL, « Dieudonné est un petit entrepreneur de la haine ».

 

Par ailleurs, Dieudonné continue de poursuivre un objectif précis et tracé depuis de nombreuses années : faire parler de lui, à tout prix. Plus l’insulte est grande, plus Dieudonné se délecte du scandale qu’il provoque, car on parle de lui, fut-ce en mal. Dernier exemple en date ? Une interview qu’il réalise le 12 février pour un journal en ligne sénégalais. Dans cet entretien, il répète à qui veut l’entendre qu’il ne se définit « absolument pas comme antisémite ». « Je trouve que l’antisémitisme est une bêtise. Mais, je ne suis pas Juif non plus. Je n’ai aucune haine particulière envers les Juifs. Mais, je n’ai aucune attirance par rapport à cette religion que je n’aime pas, qui ne correspond pas à ce que je recherche spirituellement (3). »

 

L’antisémitisme de Dieudonné :

 

Expliquons. Depuis de nombreuses années, Dieudonné reprend en les exacerbant des fantasmes courants dans une gauche tiers-mondiste et/ou de l’extrême droite ayant pignon sur rue: l'idée d'une «injustice» dans le traitement des racismes ou d'une exagération de l'antisémitisme, ou d'une exploitation de la Shoah par Israël. Et, en matière d'antisémitisme, il répète les mêmes thèmes obsessionnels, depuis des années. Dieudonné poursuit donc une stratégie que décrivait dans un article retentissant, Eric Marty, professeur de littérature française contemporaine à l'Université Paris VII - Diderot, « Que Dieudonné se rassure ! » (Le Monde, 7 mars 2004):

 

-Point n°1 : dénier la qualité de victimes aux juifs en leur attribuant les signes de leurs propres bourreaux.

-Point n°2 : faire des juifs les artisans du martyre noir et de l'esclavage.

-Point n° 3 : se donner soi-même comme victime nègre », ce que fait Dieudonné en dénonçant le « lynchage » dont il est victime.

 

Cette stratégie de Dieudonné est ancienne. Marty rappelait comment en 2001, lors de la conférence de Durban, le mythe du juif esclavagiste avait fait son apparition sur la scène mondiale, tandis que des manifestants hurlaient « Kill the jews ! ». Or, cet antisémitisme traverse le discours des mouvements radicaux noirs américains, tels les Black Panthers ou Nation of Islam, dont le chef est Louis Farrakhan. A ce sujet, une journaliste, Anne-Sophie Mercier, a publié une enquête fouillée, « La vérité sur Dieudonné » (Plon, 2005, 188 pages). Elle rapporte que Dieudonné a rencontré le représentant en France de Louis Farrakhan. Elle établit surtout que Dieudonné poursuit un but politique. Lequel ?

 

1)         En attisant la haine entre Noirs et juifs, il tente de fédérer une communauté noire qui est très dispersée, mais dont le ressentiment monte face à une République qui ne tient pas ses promesses.

2)         Dieudonné prospère sur les atermoiements des politiques qui votent en 2001 la loi Taubira, faisant de la traite négrière un crime contre l'humanité, puis, quatre ans plus tard, reconnaissent les bienfaits de la colonisation.

3)         Dieudonné a alors beau jeu de souligner que les premières victimes du racisme sont les Noirs et les Maghrébins, pas les juifs. Succès garanti chez les fans de Dieudonné.

 

Alors que :

-           55% des violences racistes en France en 2012 sont dirigées contre des Juifs.

-           614 actes antisémites ont été recensés en 2012 contre 389 en 2011, soit une augmentation de 58%.

-           Les agressions physiques et verbales (violences + propos, gestes menaçants et démonstrations injurieuses) ont augmenté de 84% par rapport à 2011 (315 en 2012 contre 171 en 2011). Les agressions physiques (violences) ont augmenté de 69% en 2012 comparativement à 2011 (96 en 2012 contre 57 en 2011).

- Un quart des agressions physiques est commis au moyen d’une arme (4).

 

Les condamnations de Dieudonné

 

Et le masque est très vite tombé. Le multirécidiviste Dieudonné a été condamné par la justice de notre pays :

1)      En 2007, il est condamné à 3 000 € d'amende, 1 500 € de dommages et intérêts et 3 000 € au titre des frais de justice pour diffamation envers Arthur, pour avoir notamment déclaré que ce dernier finançait l'armée israélienne « qui n'hésite pas à tuer des enfants palestiniens ».

2)      En février 2007, la cour de cassation réunie en assemblée plénière casse et annule de manière définitive sa relaxe pour injure antisémite et juge que ses propos, « Pour moi, les Juifs, c’est une secte, une escroquerie.», tenus en février 2002 dans une interview pour le magazine Lyon Capitale, sont constitutifs du délit d'injure antisémite.

3)      La cour d'appel le condamne le 15 novembre 2007 pour provocation à la haine à 5 000 € d'amende, pour avoir comparé en 2004 les Juifs à des « négriers » et à des trafiquants d'esclaves (5).

4)      La cour d'appel de Paris confirme le 26 juin 2008 sa condamnation à 7 000 € d'amende pour avoir assimilé en 2005 la mémoire de la Shoah à de la « pornographie mémorielle. »

5)      Le 27 octobre 2009, il est condamné pour injures antisémites à 10 000 € d'amende après avoir fait acclamer Robert Faurisson par la salle lors d'une de ses représentations et lui avoir fait remettre le « prix de l'infréquentabilité » par un comédien grimé en prisonnier juif - portant l'étoile jaune - des camps d'extermination nazis. La condamnation est confirmée par la Cour d’appel de Paris le 17 mars 2011, et le pourvoi en cassation introduit par Dieudonné est rejeté en octobre 2012.

6)      En 2009, il est condamné au Québec à 75 000 $ CA (46 872 €) d'amende, pour diffamation envers Patrick Bruel : dans une interview à La Presse, il avait entre autres traité le chanteur de « militaire israélien » et affirmé qu'il soutenait les bombardements de l'armée israélienne au Sud-Liban.

7)      En 2010, il est condamné à 5 000 € d'amende plus 10 000 € de dommages et intérêts pour diffamation envers la LICRA qu'il avait qualifiée « d'officine israélienne », en la rangeant parmi les « associations mafieuses qui organisent la censure » et « nient tous les concepts du racisme à part celui qui concerne les Juifs ».

8)      En novembre 2012 Dieudonné, est condamné à 28 000 € d'amende pour « diffamation, injure et provocation à la haine raciale » dans deux vidéos publiées sur Internet, l'une concernant la chanson Shoananas, l'autre contenant la déclaration « les gros escrocs de la planète, ce sont des Juifs ».

9)      Le 12 février 2014, la justice le condamne, pour « contestation de crimes contre l'humanité, diffamation raciale, provocation à la haine raciale et injure publique », à retirer deux passages de la vidéo 2014 sera l'année de la quenelle, qu'il avait postée sur YouTube (6).

 

Notes :

1.      Le Canard enchaîné, mercredi 12 février 2014 et le Nouvel observateur du même jour.

2.      Id.

3.      http://senego.net/2014/02/12/dieudonne-nai-aucune-haine-particuliere-envers-juifs-nai-aucune-attirance-rapport-cette-religion-naime_147256.html

4.      http://antisemitisme.org/lantisemitisme-en-france-en-2012-les-constats/

5.      http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieudonn%C3%A9.

6.      Id.

http://www.terrafemina.com/societe/politique/articles/34261-dieudonne-a-manuel-valls-ferme-ta-gueule-connard-video-.html

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