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Publié le 15 octobre dans Le Journal du Dimanche
Une main se lève dans l'assemblée toute d'uniformes vêtue. "Dans mon commissariat, on est confrontés à des guerres de quartiers, c'est possible d'appliquer la circonstance aggravante en raison de l'appartenance à un groupe?" Réponse de l'un des intervenants chargé de l'atelier auquel assistent une trentaine de policiers et gendarmes : "Ah non, ça ne marche que pour un groupe religieux ou une ethnie." Hochements de képi. Comprendre ces délits : c'est tout l'enjeu de la formation qui s'est déroulée le 26 septembre à Orléans (Loiret). Dispensée par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), elle vise à sensibiliser les forces de l'ordre à la prise en charge des infractions racistes, antisémites ou anti-LGBT et de leurs victimes.
Depuis 2018, ces discriminations sont une circonstance aggravante des crimes et délits. Pourtant, la France reste très en retard. Ces infractions y sont 12 fois moins prises en compte qu'au Royaume-Uni : 7.500 plaintes en France en 2018, contre 92.800 outre-Manche. Mauvais accueil des victimes, sous-estimation de la haine, formation insuffisante, les raisons sont multiples. "Il faut prendre ce combat à bras-le-corps, assure Christian Gravel, préfet rattaché à la Dilcrah. Avec la libération de la parole sur les réseaux sociaux et la crispation ambiante, c'est un vrai enjeu."
D'ici à la fin 2020, la Dilcrah entend constituer un réseau de 300 magistrats, policiers et gendarmes référents à travers le pays. Sur la base du volontariat, des formations, dispensées par des juristes, des policiers, des chercheurs ou des psychologues, sont désormais organisées tous les deux mois. "L'idée est de faire comprendre l'impact des délits et crimes de haine, explique Christian Gravel. Afin que les victimes soient en confiance."
"On n'interroge pas une victime, on l'écoute"
A Orléans, policiers et gendarmes ont été formés au recueil de telles plaintes. "On n'interroge pas une victime, on l'écoute, prévient un brigadier-chef, formateur. Dans le cas des discours de haine, il faut nouer un dialogue, sinon on loupe des réponses essentielles, on doit laisser les victimes parler."
Par manque de temps et d'effectifs, le traitement des plaintes s'apparente parfois à de l'abattage. Et les méthodes laissent à désirer : en moyenne, une question est posée toutes les neuf secondes aux victimes. "Si on passe trois quarts d'heure sur une plainte, on nous dit de nous dépêcher, se défend un policier. Il y a souvent des dizaines de personnes qui attendent. On a quelques consignes : on peut prendre plus de temps pour les violences conjugales, mais pas pour le racisme, etc. D'ailleurs, il n'y a pas beaucoup de plaintes dans ce domaine."
C'est l'autre problème. Les victimes franchissent peu la porte des commissariats. Pour les actes racistes, elles ne sont que 17% à déposer plainte, 2% en cas d'injures. En outre, ces infractions sont difficiles à constituer, aussi les forces de l'ordre ne donnent-elles pas toujours suite : "C'est dur de qualifier ces infractions. Est-ce que 'pédé' est homophobe si pas adressé à un homosexuel?", s'interroge une gendarme. Donatien Le Vaillant, magistrat rattaché à la Dilcrah, met en garde : "Attention au réflexe 'on ne pourra pas le prouver, donc on ne prend pas la plainte'. Le seul fait de la transférer contribue à restaurer la confiance."
"Je n'avais pas conscience d'être [le premier maillon] de la reconstruction d'une victime"
Une mission peu évidente de prime abord. Un policier de l'Essonne confie : "Je sais que je suis le premier maillon de l'enquête, mais je n'avais pas conscience d'être aussi celui de la reconstruction d'une victime." La formation chamboulerait presque ses dix-huit ans de pratique. "En début de carrière, on écoute. Ensuite, on se fait des carapaces, on va vite." Pour pallier ces dysfonctionnements, la Dilcrah intervient aussi en amont dans les écoles de police. "Je ferai plus attention, promet-il. Mais la hiérarchie doit nous laisser plus de temps."