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Publié le 20 février dans Le Monde
L’Allemagne s’est réveillée sous le choc, jeudi 20 février, en apprenant qu’une double fusillade à caractère raciste avait frappé deux bars à chicha à Hanau (Hesse), ville de 90 000 habitants située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Francfort, mercredi en fin de soirée. Le bilan est terrible : neuf morts, et plusieurs blessés, dont au moins un, jeudi matin, était entre la vie et la mort. Le parquet fédéral, compétent dans les affaires de terrorisme, soupçonne une « motivation xénophobe » et s’est saisi de l’enquête.
Après les attentats, les enquêteurs ont découvert un manifeste et une vidéo dans lesquelles l’homme suspecté d’être le terroriste évoque des « peuples à éliminer ». Le suspect, Tobias R. a été retrouvé mort à son domicile pendant la nuit aux côtés d’un autre corps sans vie. Selon le quotidien Bild, il s’agirait de sa mère, âgée de 72 ans. Le suspect était de nationalité allemande et titulaire d’un permis de chasse.
L’équipée meurtrière a commencé vers 22 heures, mercredi soir, au Midnight, un bar à chicha situé dans le centre de Hanau. Cinq personnes y auraient été tuées, dont plusieurs d’origine kurde. Le tueur s’est ensuite dirigé en voiture dans le quartier résidentiel de Kesselstadt, à deux kilomètres de là, où il s’est garé devant un autre bar, l’Arena. Cette fois, au moins quatre autres personnes auraient été abattues. Il aurait ensuite regagné son domicile, non loin de là, où il a été retrouvé mort.
Une vidéo récemment publiée sur YouTube – supprimée du réseau social jeudi matin – et attribuée au suspect, montre un homme s’adressant face caméra en anglais aux Américains. Il tient notamment des propos sur l’existence d’« organisations secrètes invisibles » qui essaieraient d’instaurer « un système d’esclavage moderne » en usant de « méthodes diaboliques ». Evoquant l’existence de bases militaires souterraines aux Etats-Unis dans lesquelles des enfants seraient maltraités et même assassinés, il appelle les citoyens américains à entrer en résistance.
« Le racisme est un poison, la haine est un poison », a fustigé jeudi la chancelière allemande, Angela Merkel. « Il y a de nombreuses indications selon lesquelles l’auteur a agi mû par des idées d’extrême droite, racistes, par haine contre des personnes d’origine, de croyance ou d’apparence différentes », a-t-elle ajouté. « Nous nous opposons avec force et détermination à tous ceux qui tentent de diviser l’Allemagne », a-t-elle encore déclaré, insistant sur « les droits et la dignité de chaque personne dans notre pays », sans distinction « d’origine ou de religion ».
Cette tuerie intervient dans un contexte particulièrement sensible en Allemagne, où la menace du terrorisme d’extrême droite n’a jamais été aussi présente dans l’actualité, huit mois après l’assassinat de Walter Lübcke, le préfet de Cassel – ville située non loin de Hanau –, par un néonazi, et quatre mois après l’attaque de la synagogue de Halle par un adepte du « suprémacisme blanc ».
« Il semble que l’assassin ait ciblé délibérément des personnes d’origine immigrée, a regretté Josef Schuster, le président du Conseil central des juifs d’Allemagne. Après la série de meurtres de la NSU [groupuscule néonazi à l’origine des assassinats de neuf immigrés et d’une policière dans les années 2000], l’extrême droite fait à nouveau couler le sang en Allemagne. (…) La question très préoccupante se pose de savoir dans quelle mesure les minorités et les personnes qui s’engagent à leurs côtés peuvent encore vivre en Allemagne ».
Série d’attentats préparés contre des mosquées
L’attaque intervient également cinq jours après l’arrestation de douze personnes soupçonnées de préparer une série d’attentats, principalement contre des mosquées, mais aussi contre des responsables politiques et des demandeurs d’asile. Membres d’un groupuscule baptisé Der harte Kern (« Le Noyau dur »), les suspects – parmi lesquels figure un policier – avaient prévu de diffuser en direct les vidéos de leurs attaques, comme l’avait fait l’Australien Brenton Tarrant quand il avait ouvert le feu contre deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019 (51 morts et 49 blessés), et comme l’avait également fait l’Allemand Stephan Balliet, l’auteur de l’attaque contre la synagogue de Halle.
Politiquement, la tuerie de Hanau met les autorités dans une situation très délicate. En début de semaine, après le démantèlement du groupuscule Le Noyau dur et la découverte de ses projets d’attaques contre des mosquées, plusieurs responsables de la communauté musulmane avaient expliqué que les musulmans d’Allemagne se sentaient de moins en moins en sécurité. Evoquant des projets d’attentats « d’une dimension jamais vue auparavant », le secrétaire général du Conseil central des musulmans d’Allemagne avait réclamé davantage de protection policière autour des mosquées.
Accusé d’avoir trop longtemps négligé la menace terroriste venant de l’extrême droite, le gouvernement fédéral a récemment multiplié les annonces visant à montrer qu’il prend désormais la question très au sérieux. En décembre 2019, le ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, avait ainsi annoncé la création de 600 postes au sein de l’Office fédéral de police criminelle et de l’Office fédéral de protection de la Constitution, le service chargé du renseignement intérieur en Allemagne.
Mercredi matin, quelques heures avant la tuerie de Hanau, le gouvernement allemand avait adopté une nouvelle loi visant à lutter plus efficacement contre la haine et la violence sur Internet. Complétant une loi entrée en vigueur en 2018 et obligeant la plate-forme à supprimer, sous 24 heures, les contenus jugés haineux, le texte adopté mercredi en conseil des ministres vise à faciliter la poursuite de leurs auteurs, les plates-formes étant désormais obligées de signaler les contenus litigieux – propagande néonazie, préparation d’attentats, menaces de meurtres… – à l’Office fédéral de police criminel. « Nous devons stopper la spirale de la haine et de la violence. De tels crimes finiront par se retrouver là où ils devraient être : devant un tribunal », avait expliqué, mardi, la ministre de la justice, Christine Lambrecht.