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Publié le 28 Avril 2005

Abraham, réveille-toi. Ils sont devenus fous de Mehrézia Labidi-Maïza et Laurent Klein

Juliette est une jeune enseignante d’histoire et de géographie au collège Léonard de Vinci, dans une zone d’éducation prioritaire de la ville de Y… Au mois d’octobre, elle commence à distinguer deux groupes qui se distinguent de sa classe de 6e. D’un côté, se trouve Sami, cheveux bruns frisés, de grands yeux verts bordés de longs cils, une forte personnalité qui revendique haut et fort son appartenance à l’Islam. Son niveau scolaire pourrait être bon, mais il ne montre qu’indifférence au contenu du cours d’histoire. Lorsqu’il est interrogé, il répond nonchalamment par : « J’sais pas ». Parfois, la professeure cherche à provoquer, disant : « Vous savez m’dame, moi je suis arabe, ça me concerne pas » ; d’autre fois, pour faire rire la classe, il cherche à couper la parole des profs par un : « C’est même pas vrai ! » L’enseignante a du mal à l’intéresser au cours, mais elle arrive tout de même à le contrôler. De l’autre côté, explique l’enseignante, il y a Samuel dit Samy, un grand garçon aux cheveux noirs et au beau regard bleu malicieux. Il s’est absenté le jour du Grand Pardon « pour raison de fête religieuse juive », comme l’avaient écrit ses parents dans le carnet de liaison Plus réservé, il intervient peu et suit les cours sans se faire remarquer ; il se contente juste de notes au-dessus de la moyenne. C’est la rivalité entre les deux garçons qui entraîne un clivage plus ou moins perceptible dans la classe.



Un jour, Juliette est témoin d’une violente altercation entre les deux élèves. Ce jour là, leur querelle électrise la classe. La professeure d’histoire avait préparé avec un soin particulier son cours d’histoire qui portait sur les Hébreux. Le cours dérape lorsque Juliette précise que c’est dans la Bible qu’il est question d’Abraham, l’ancêtre des Hébreux.

Sami intervient, criant : « C’est pas vrai m’dame, il est l’ancêtre des Arabes ! D’ailleurs, il s’appelle Ibrahim ».

Samy lui répond sur le champ : « Hé ! quoi ! Tu voles aussi les ancêtres maintenant ! »

Toute la classe éclate de rire.

Sami, fâché, réplique : « Voleur toi-même ! Si seulement je te disais ce que je pense… »

- « Vas-y, si t’as du cran ! »

- « Le voleur de pays, c’est bien toi et les tiens. Hitler lui, il savait y faire avec ta race. »

Samy s’apprête alors à lui bondir dessus. Les élèves sont tétanisés.

C’est ainsi que débute ce livre. Les deux auteurs, dont l’une (Mehrézia Labidi-Maïza) est traductrice et déléguée de parents d’élèves et l’autre (Laurent Klein) est directeur d’école élémentaire publique, ont choisi d’aborder cette thématique à travers une fiction. Et dans cette fiction évolue Juliette. La professeure n’est pas indifférente, loin s’en faut. Elle est même choquée. Elle ne veut pas pour autant révolutionner le monde. Elle pense juste qu’elle doit apaiser les tensions qui peuvent exister dans sa classe. Et c’est ainsi que Juliette fait appel à deux intervenants extérieurs, Aziza et Raphaël, pour engager une réflexion avec sa classe. Et c’est cette réflexion prononcée, ce questionnement, cette quête que nous suivons pas à pas. Les thèmes de la croyance, de la place de l’Homme, de la famille sont ainsi abordés à la lumière des références religieuses ou culturelles des uns et des autres. Et ce que nous suivons est exactement ce que nous espérerions en pareil cas : un échange, un questionnement, des élèves qui puisent et apprennent de l’autre.

Autant le dire, nous avons donc aimé ce livre, parce qu’il démontre des choses simples. En premier lieu, il est possible de s’investir et de ne point désespérer. En second lieu, il faut se battre pour que les situations les plus inextricables puissent être contournées et vaincues. Et finalement, il est toujours possible d’espérer et de croire que l’intolérance et l’ignorance peuvent être vaincues.

Marc Knobel

Mehrézia Labidi-Maïza et Laurent Klein, Abraham, réveille-toi. Ils sont devenus fous, Les Editions de l’Atelier, Paris 2004, 135 pages, 16 euros.

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