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Published on 9 November 2021

France - Au procès de l’affaire Mireille Knoll, l’impossible vérité

Vendredi et lundi, les deux accusés ont longuement été interrogés sur les faits. Ils continuent de se renvoyer la responsabilité du meurtre.

Publié le 9 novembre dans Le Point

Depuis l’ouverture de leur procès le 26 octobre, Alex Carrimbacus et Yacine Mihoub n’ont pas échangé un regard. Au fil des jours, le premier a d’ailleurs peu à peu pivoté dans le box, et tourne aujourd’hui presque le dos à son coaccusé. Une attitude qui reflète leurs positions respectives depuis le 23 mars 2018, jour où le corps de Mireille Knoll, une octogénaire de confession juive, a été retrouvé à son domicile, lardé de onze coups de couteau et en partie calciné.

Trois ans et demi que Yacine Mihoub, 32 ans, et Alex Carrimbacus, 25 ans, nient l’avoir tuée et se renvoient la responsabilité du crime, aggravé de la circonstance de l’antisémitisme. Malheureusement, le procès n’y a rien fait et les deux accusés continuent de camper sur leurs versions irréconciliables, faites de nombreuses contradictions et incohérences. Yacine Mihoub, souvent à la limite de l’insolence, gesticule beaucoup dans le box. Il a à la fois réponse à tout et réponse à rien. Son coaccusé, de son côté, est plus effacé. Il nie aussi les faits, mais a parfois la mémoire qui flanche. Deux hommes aux comportements diamétralement opposés, qui encourent chacun la réclusion criminelle à perpétuité.

Tous les deux s’étaient rencontrés à la prison de Fleury-Mérogis dans le courant de l’année 2017. Alex Carrimbacus, un marginal aux antécédents psychiatriques, y purgeait une peine pour vol. Yacine Mihoub, lui, prétendait être détenu pour « trafic d’armes ». Une manière de ne pas « avoir toute la promenade sur le dos » selon Carrimbacus. Ce n’est qu’après avoir été interpellé dans le cadre de l’affaire Knoll qu’il apprendra la vérité : Yacine Mihoub était en réalité détenu pour avoir sexuellement agressé la fille de l’aide ménagère de la vieille dame. C’est que Yacine Mihoub connaît bien Mireille Knoll, qu’il décrit d’ailleurs comme « une grand-mère de substitution ». Sa mère, Zoulikha Khellaf, qui répond aujourd’hui de « destruction de preuve », vivait cinq étages au-dessus de l’octogénaire.

« Un complice inexcusable »

Après leurs libérations respectives, les deux hommes se seraient retrouvés par hasard dans les locaux d’une association d’aide à la réinsertion dans le 11e arrondissement, la veille des faits. « J’en avais marre de galérer, marre de la prison », raconte Alex Carrimbacus, debout dans le box, chemise bleu clair sortant du pantalon. Il est le premier à s’exprimer sur les faits. Mihoub lui explique qu’il peut lui trouver un travail et le contacte dès le lendemain depuis un téléphone fixe pour lui dire de venir le rejoindre à Nation. Il s’y rend et, de là, se laisse guider jusqu’au domicile de Mireille Knoll, où Yacine Mihoub l’attend. Depuis tout petit, Yacine Mihoub a pris l’habitude de se rendre chez la vieille dame atteinte de la maladie de Parkinson. Elle peine à se déplacer et il lui rend parfois de menus services contre un petit billet. Carrimbacus arrive devant l’immeuble, compose le digicode dicté par Mihoub et monte les deux étages qui mènent à l’appartement. « Madame Knoll était assise sur son fauteuil », se souvient Alex Carrimbacus. Yacine Mihoub les présente : « Marcel, Mireille, Mireille, Marcel ». « Je lui ait dit, “Marcel ? Pourquoi Marcel ?” Il m’a répondu “T’occupe”. »

Sur la table trône une bouteille de porto. Yacine Mihoub se ressert régulièrement, insiste pour que Mireille Knoll accepte un verre, Alex Carrimbacus, lui, dit ne pas en boire. Il explique s’être rendu aux toilettes et qu’à son retour, la discussion semblait plus « tendue ». « Ils parlaient de la guerre d’Algérie, de celle de 39-45 », raconte Carrimbacus. Selon ce dernier, Mihoub aurait alors profité que Mireille Knoll aille aussi aux toilettes, aidée de son déambulateur, pour faire faire un tour de l’appartement à son comparse. Il lui montre les fourrures dans la chambre d’amis et la chevalière « dorée » qu’il a déjà subtilisée.

C’est à ce moment qu’Alex Carrimbacus comprend qu’il est là pour un « plan thunes », entendre : un cambriolage. Yacine Mihoub lui demande de prétendre un coup de téléphone pour continuer de fouiller les lieux. Quand il revient au salon, la discussion s’est encore envenimée. Après, tout va « très vite », se souvient l’accusé. Yacine Mihoub aurait « porté » Mireille Knoll jusqu’à sa chambre, laissant Alex Carrimbacus seul dans le salon. « À ce moment-là, raconte-t-il, j’entends Mme Knoll m’appeler plusieurs fois, en disant “Marcel, Marcel” ».

"J’ai obéi parce que j’avais peur"

« Pensant qu’elle est tombée, je prends le déambulateur et là je vois M. Mihoub avec un couteau, mettre un coup à la gorge de Mireille Knoll en criant “Allah Akbar”. Puis, il a pris son cou, m’a montré qu’elle était morte et m’a dit “elle a payé pour ce qu’elle a fait” », raconte l’accusé avant de lâcher, comme un cri du cœur : « j’ai été un voleur, non un tueur ». Face à la cour, Alex Carrimbacus a ensuite du mal à se rappeler de tout. « J’étais tétanisé », justifie-t-il. Pourquoi tendre un briquet à Mihoub pour qu’il mette le feu à l’appartement, monter avec lui chez sa mère, suivre Mihoub dans un bar, jeter le sac plastique contenant la possible arme du crime, sans même regarder dedans ? « J’ai obéi parce que j’avais peur », répète inlassablement l’accusé. « Vous constituez pour moi une énigme, monsieur Carrimbacus », lui lance Me Gilles-William Goldnadel, l’avocat de la famille Knoll. « Vous arrivez chez cette vieille dame vulnérable et modeste, vous pensez à la voler, alors même que vous êtes dans une logique de réinsertion… On veut bien imaginer que vous êtes tétanisé quand vous voyez Mihoub la tuer, mais pourquoi n’allez-vous pas le dénoncer le lendemain ? » La peur, encore la peur, dit Carrimbacus. Celle des représailles, de son casier judiciaire déjà bien fourni. « Tout cela fait de lui un complice inexcusable », dira Me Goldnadel. Mais seulement un complice à ses yeux.

« Ces cinq minutes ont suffi pour que Mireille Knoll soit poignardée onze fois »

Vient le tour de Yacine Mihoub de se lever. À l’audience, le psychiatre avait souligné qu’il était peu enclin au « sentiment de culpabilité » et qu’il adoptait souvent une « position victimaire ». Et alors que les questions commencent à fuser, une sorte d’impatience semble l’envahir. Quand il doit répondre de la circonstance aggravée de l’antisémitisme, d’abord. Les inscriptions hommages aux terroristes des attentats de janvier 2015 sur les murs de sa cellule, ses recherches Internet sur les juifs et les médias, ses propos tenus à un agent du service pénitentiaire sur « les juifs et l’argent »… Autant d’éléments « sortis de leur contexte », assure Mihoub. L’accusé nie aussi fermement avoir dit que « tous les juifs étaient friqués » à Mireille Knoll, comme le soutient Carrimbacus et jure n’avoir jamais prononcé les mots « Allah akbar » le 23 mars 2018.

Sur les faits en eux-mêmes, Yacine Mihoub livre un récit en tout point inverse à celui d’Alex Carrimbacus. « Une accusation en miroir », relève le président de la cour d’assises. Si le mobile tient selon l’accusation au fait que Yacine Mihoub a eu le sentiment d’avoir écopé d’une peine de prison pour agression sexuelle à cause de Mireille Knoll, lui se défend d’avoir été animé par un quelconque sentiment de vengeance. « Ce jour-là, je suis venu lui dire bonjour, prendre des nouvelles […] J’ai juste invité la personne qu’il ne fallait pas », avance Mihoub.

Le reste est un récit confus, sinon incohérent. « Alex Carrimbacus est venu, on a discuté. Il est allé chercher une bouteille, on a bu. Je faisais des allers-retours sur le balcon pour fumer. Puis je l’ai perdu de vue cinq minutes. Ces cinq minutes ont suffi pour que Mireille Knoll soit poignardée onze fois », déclare-t-il. Yacine Mihoub s’évertue à parler d’un vol qui aurait « mal tourné » en guise de mobile. Sur toutes les décisions qui ont suivi le meurtre commis par Carrimbacus, comme le fait de l’avoir « aidé » à mettre le feu, il plaide une série de « mauvaises décisions », prises dans « la panique ». Lui aussi explique avoir été « tétanisé », « apeuré ». « Pourquoi n’avez-vous pas fui, pourquoi n’avez-vous pas crié pour alerter les voisins, pourquoi n’êtes-vous pas parti en courant ? » insiste le président de la cour. « Je me pose ces questions depuis trois ans et je vais continuer de me les poser longtemps », répond Mihoub, qui fait encore valoir « des mauvais choix » et n’hésite pas à traiter son coaccusé de « malade mental ». « Pour moi, sa place est en hôpital psychiatrique », lance même Yacine Mihoub.

L’épais brouillard ne se dissipe pas quand il s’agit d’évoquer les nombreux mensonges en garde à vue, puis ceux qui ont suivi pendant la phase d’instruction : « j’ai varié sur des choses qui n’étaient pas essentielles », explique l’accusé plein d’aplomb. Comment justifier ces appels – illégaux – passés à sa mère depuis la prison, lors desquels ils se mettent d’accord sur la stratégie à adopter devant les juges d’instruction et où Zoulikha Khellaf regrette : « Je t’avais dit “évite-la”, mais tu ne m’as pas écoutée. » L’accusé tente une pirouette, assure que s’il devait éviter de se rendre chez Mireille Knoll, c’était pour ne pas boire d’alcool. L’heure est désormais au réquisitoire. Mercredi, magistrats et jurés partiront en délibéré et devront, plus que jamais, s’en remettre à leur intime conviction.