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Published on 6 September 2021

France - Antisémitisme : "La question israélo-palestinienne ne doit pas être l’exutoire des passions primaires"

Plaquer sur le conflit israélo-palestinien le schéma de l’antiracisme en parlant d’apartheid, loin de faire progresser la vérité, ne fait qu’attiser la haine des juifs, dénonc un collectif de 150 intellectuels et personnalités politiques.

Publié le 3 septembre dans Le Monde

Tribune. La situation actuelle au Proche-Orient ne résulte pas uniquement de dizaines d’années d’affrontement entre Israéliens et Palestiniens, elle se nourrit également de centaines d’années de persécutions des juifs dans les pays arabes et en Europe.

Ce conflit multiséculaire, extraordinairement complexe, aux racines à la fois historiques, religieuses, géopolitiques et diplomatiques, nourri par la corruption, l’ignorance, mais aussi la haine et la radicalité, ne peut pas être réduit à la vision binaire d’un affrontement entre les « gentils Palestiniens » et les « méchants Israéliens », sinon par des propagandistes ou des ignorants.

Or, c’est précisément à cette simplification outrancière que se livrent plusieurs organisations – nous pensons à certains rapports des Nations unies –, des organes de presse, ainsi qu’un nombre significatif d’intellectuels et d’artistes, de figures politiques et médiatiques.

Une tribune publiée le 6 juillet sur le site de l’Association des universitaires pour le respect du droit international des Palestiniens (Aurdip), appelant à « l’élimination » et à la « répression » du « crime d’apartheid en Palestine historique », témoigne d’une large mobilisation « antisioniste » au sein des milieux universitaires. Pour qualifier la politique d’Israël envers les Palestiniens, cette tribune et d’autres appels usent du terme infamant d’« apartheid » associé à des expressions criminalisantes comme « nettoyage ethnique » ou « crimes de guerre », voire « crimes contre l’humanité ».

La cruauté, l’inhumanité, la violence paroxystique et le racisme abject que suggèrent ces accusations à forte valeur émotive sont utilisés à dessein pour faire réagir une population occidentale particulièrement sensible aux violations des droits humains et l’amener à voir en Israël un Etat criminel contre lequel tout humaniste qui se respecte aurait le devoir de se révolter.

Experts et militants

Les nombreux zélateurs de ce victimisme de combat se présentent la plupart du temps comme des « experts » alors qu’ils agissent là en tant que militants. Leur croisade est d’autant plus efficace que le sujet est compliqué et fondamentalement très mal connu ; en même temps, il est si omniprésent dans les médias que tous ceux s’intéressant un tant soit peu à l’actualité internationale se sentent obligés de prendre position.

L’efficacité de ces plaidoiries doit beaucoup aux nobles principes derrière lesquels elles dissimulent la violence de leurs véritables objectifs : les « droits humains », la « lutte contre les discriminations raciales, ethniques, religieuses » (ou même « sexuelles » dans la tribune de l’Aurdip), la « démocratie », la « justice » et même la « paix » et la « réconciliation » …

La démarche est habile, certes, mais il ne faut pas s’y tromper : sous le couvert de bons sentiments, il s’agit là d’une propagande étaticide, consistant à inventer le crime pour mieux tuer l’Etat au prétexte de mettre un terme à un régime d’apartheid qui n’existe pas – les Arabes israéliens bénéficient des mêmes droits que les Juifs israéliens, ont des députés à la Knesset, un juge à la Cour suprême, certains des consuls et des ambassadeurs israéliens sont arabes, des médecins et des infirmiers arabes travaillent avec des juifs dans les hôpitaux israéliens… Rien à voir avec la situation de la population noire en Afrique du Sud entre 1948 et 1991 (lire l’article de Georges Bensoussan publié dans Tribune Juive le 2 août).

L’impératif de la haine

L’exigence du droit au retour pour tous les Palestiniens « exilés » – qui en pratique signerait la fin d’Israël – figurant dans la tribune de l’Aurdip est, à cet égard, particulièrement éloquente. Eloquente aussi est la présentation partiale, partisane, manichéenne que les signataires de cette tribune font des récents rapports de Human Rights Watch et B’Tselem dont les conclusions sont loin d’être aussi tranchées que les leurs.

Récuser l’accusation d’apartheid ne revient pas à nier la difficulté de l’existence au quotidien des Palestiniens dans les territoires occupés (ou « disputés », selon les perspectives). Cela n’implique pas non plus de s’abstenir de toute critique contre la politique du gouvernement israélien. Mais la question israélo-palestinienne ne doit pas être l’exutoire des passions primaires ni l’instrument de procès ou règlements de comptes en Europe ou aux Etats-Unis dont les dynamiques idéologiques occidentales ignorent tout des réalités moyen-orientales.

Or, beaucoup – Hezbollah, gardiens de la révolution, antisémites de tous poils en Orient mais aussi en Occident – sont prêts à faire tuer jusqu’au dernier Palestinien pour servir leur propre agenda. A vouloir plaquer sur le conflit israélo-palestinien le schéma de l’antiracisme en parlant d’« apartheid » ou en détournant le slogan « Black Lives Matter », on ne fait pas progresser la vérité, on rend la haine des juifs acceptable et même impérative.

Comprendre ce qui se passe entre Israéliens et Palestiniens, entre Juifs et Arabes, entre Orient et Occident, se déterminer de manière autonome sur ces sujets exige une connaissance très large et une réflexion approfondie qu’il faut du temps et du travail pour acquérir et que cette tribune n’a pas vocation à nourrir.

Il s’agit seulement ici d’inviter le lecteur de bonne foi à prendre du recul. La cause qu’il défend n’est peut-être pas celle qu’il croit.

 

Parmi les signataires :

Razika Adnani, écrivaine, philosophe et islamologue, membre du Conseil d’orientation de la fondation de l’islam de France ; Elisabeth Badinter, philosophe ; Elie Barnavi, historien ; Belinda Cannone, écrivaine ; Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre ; Hassen Chalghoumi, imam de la mosquée de Drancy, président de la conférence des imams ; Xavier Darcos, membre de l’Académie française ; Alain Finkielkraut, philosophe, membre de l’Académie française ; Liliane Kandel, sociologue ; Pierre Manent, philosophe ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Boualem Sansal, écrivain ; Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées ; Caroline Valentin, avocate et essayiste ; Michael Walzer, professeur émérite à l’Institute for Advanced Study de Princeton (New Jersey).

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