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Publié le 19 octobre dans Le Monde
Depuis vingt-quatre heures ils étaient nombreux à réclamer sa dissolution. Gérald Darmanin a annoncé, lundi 19 octobre, sur Europe 1, qu’il souhaitait que soit proposée en conseil des ministres la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), « manifestement impliquée », selon lui, dans les évènements qui ont conduit à la décapitation du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, vendredi 16 octobre, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Le ministre de l’intérieur a aussi souhaité proposer la dissolution de plusieurs autres associations jugées « ennemies de la République », comme l’ONG islamique BarakaCity, imprégnée d’un islam identitaire. Le fondateur de celle-ci, Idriss Sihamedi, avait été interpellé, mercredi, et il est convoqué au tribunal le 4 décembre « pour harcèlement » en ligne, à la suite d’une plainte de Zohra Bitan, chroniqueuse à RMC.
Depuis l’assassinat de l’enseignant, le CCIF était dans la ligne de mire. En cause, sa participation, présumée par certains, à la campagne de dénigrement lancée contre lui sur les réseaux sociaux par le père d’une collégienne. Une campagne qui a mené à la mort du professeur.
Car c’est au CCIF que Brahim C. a fait appel. Et c’est vers cette association – créée en 2003 pour apporter une aide juridique aux personnes victimes d’actes illégaux jugés islamophobes – qu’il a dirigé ses soutiens. Sur Facebook, le 7 octobre, il exhortait ses « frères et sœurs » à faire « au minimum un courrier au collège, au CCIF, à l’inspection académique ou au ministre de l’éducation ou au président ». Le 11 octobre, il réitérait son message : « Si vous souhaitez nous soutenir et nous aider et porter plainte, soyons nombreux à dire STOP TOUCHE PAS À NOS ENFANTS. Contacter le CCIF. » Suivait le numéro de téléphone du collectif. Lundi, Gérald Darmanin a qualifié ces messages de « fatwa » lancée contre l’enseignant.
Depuis l’assassinat de Samuel Paty, la rumeur enflait. Le CCIF aurait-il diffusé la vidéo sur son site ou ailleurs ? A-t-il participé, d’une façon ou d’une autre, à cette opération de terrorisme numérique ? A minima, n’a-t-il rien fait pour désamorcer la situation ?
Certains s’interrogeaient : « Ça me paraît improbable, mais s’ils l’ont fait, c’est dramatique, ce serait une faute grave, impardonnable », commentait Farid, un ancien professeur de mathématiques, présent au rassemblement devant les portes du collège du Bois-d’Aulne, samedi après-midi, à Conflans-Sainte-Honorine. D’autres l’affirmaient, parlant de « son rôle trouble » dans cette histoire, comme l’a déclaré l’avocat Thibault de Montbrial dimanche 18 octobre sur Europe 1, et réclamaient sa dissolution immédiate, à l’instar de l’ancien premier ministre Manuel Valls, dimanche sur Twitter, où les hashtags #IslamisteduCCIF puis #dissolutionCCIF figuraient en bonne place dans les tendances du jour.
Impossible, en tout cas, de retrouver la moindre trace sur Internet et les réseaux sociaux d’un message du CCIF en ce sens ou de la publication de la vidéo du père de la collégienne traitant l’enseignant de « voyou » sur son site ou ailleurs. La direction du collectif l’affirme au Monde : « Aucune information n’a été relayée sur nos réseaux ou par tout autre moyen. »
La direction de l’association précise avoir été contactée le samedi 10 octobre par téléphone, soit trois jours après la publication de la vidéo, et avoir « recommandé au déclarant, avant même l’étude du dossier, de supprimer sa vidéo pour permettre que sa saisine puisse être traitée sereinement ». « Sur ce type de dossier, insiste-t-on, le CCIF favorise toujours la médiation, qui représente plus de 90 % des dossiers que nous avons à résoudre. » « Aucune autre démarche » que l’enregistrement du dossier « n’avait été entamée (… ) ni en direction de l’enseignant ni en direction de l’établissement, de quelque nature que ce soit », ajoute l’association.
Selon Marwan Muhammad, ancien directeur exécutif du CCIF, la mise en cause de l’association a un objectif précis : « On essaye d’impliquer le CCIF par tous les moyens parce qu’on a envie de l’abattre. Mais je ne vois pas sur quel fondement juridique on pourrait le dissoudre. » « Que l’on soit sur sa ligne ou pas, c’est la seule organisation identifiée par un grand nombre de musulmans pour défendre leurs droits, analyse Farid, l’ancien professeur de maths. Le dissoudre serait perçu comme une attaque directe des musulmans. »
« Ce serait une vraie grosse bêtise, confie un fin connaisseur du dossier, qui confirme que le président de la République l’envisage. Cela va créer un sentiment d’acharnement dangereusement contre-productif, alors qu’il ne représente finalement pas tant de monde que ça. »
Quoi qu’il en soit de sa représentativité, en coulisses, cette mouvance n’est pas jugée aussi infréquentable par les pouvoirs publics que le tir de barrage actuel pourrait le laisser croire. Sur le terrain et au niveau central, les contacts existent. Comme d’autres associations qui travaillent sur des problématiques cultuelles, la plate-forme « L.E.S. musulmans », qui regroupe des associations et des imams, est en lien avec le ministère de l’intérieur, également chargé des relations avec les cultes.
Marwan Muhammad, qui en est à l’origine, conteste également les affirmations d’une « source proche du gouvernement », rapportées par l’Agence France-Presse dimanche, selon lesquelles « depuis un mois particulièrement, il y a convergence et mobilisation de trois courants d’islamistes : L.E.S. musulmans, dirigé par Marwan Muhammad, le CCIF, et [l’organisation caritative islamique] BarakaCity ». Avec BarakaCity, « on a des différences et des divergences de méthodes. Dire qu’il y a une collusion est un mensonge pur et simple. D’autant plus pour des officiers de renseignements, qui disent le contraire au niveau local », ajoute le dirigeant associatif.