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Publié le 27 mars dans Le Parisien
Souvenez-vous : ces quais parisiens bondés et ces parcs pleins à craquer où familles et amis profitaient, en toute désinvolture, d'un bain de soleil. C'était il y a treize jours à peine. Une éternité à l'heure du confinement. Finie l'insouciance. Finis les haussements d'épaules lorsqu'on évoquait les dangers du Covid-19 et les risques d'extension de l'épidémie à l'ensemble de la France…
Alimentée par les messages de plus en plus alarmants des médecins et du gouvernement face à l'indifférence de certains, la peur du virus a finalement gagné tout le pays. Au point qu'aujourd'hui, d'après un sondage Ifop pour Depanneo que nous vous révélons, 81 % des Français ont peur à l'idée de voir mourir leurs proches.
62 % avouent même être inquiets de perdre la vie s'ils étaient eux-mêmes contaminés. « Cette crainte de mourir est plus élevée dans les centres-villes où la promiscuité est plus grande qu'ailleurs », détaille François Kraus, directeur du pôle politique/actualité au département opinion de l'Ifop.
« Ces taux élevés ne sont pas étonnants car ils sont le reflet de l'état de charge affective, de stress, dans lequel les gens sont actuellement, décrypte Saverio Tomasella auteur de « La charge affective », avec Charlotte Wils (Larousse), psychanalyste et docteur en psychologie. Lors d'épidémies, la conscience de pouvoir perdre un proche, surtout âgé, est plus aiguë. Quant à la crainte de transmettre le virus, cela montre que les Français sont dans une forme de responsabilité solidaire et pas si inciviques. »
La preuve : « Les règles de distanciation sociale et d'hygiène drastique sont majoritairement respectées, constate François Kraus. Cette crainte de mourir est l'émotion la plus forte chez l'humain », souligne Saverio Tomasella. « Elle est inévitable. Chaque jour, lorsqu'on entend parler de mort, on pense forcément à la sienne. Je l'entends aussi en consultation en ce moment et chez des patients de tous les âges. »
La peur d'être infecté, 79 % des salariés la ressentent en allant travailler et 75 % redoutent d'infecter sans le savoir des membres de leur entourage. À l'image de Christian, pneumologue dans un hôpital du Val-d'Oise et chaque jour au contact de patients atteints du Covid-19. Depuis deux semaines, par peur de contaminer les siens, il a progressivement arrêté tout contact avec sa famille. « Je ne vois plus mes parents, âgés, et je n'ai plus de contact physique avec mes propres enfants, ni avec mon épouse, avec laquelle on fait maintenant chambre à part. »
Face à cette détresse psychique, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon a annoncé, mercredi, la création d'une cellule d'aide psychologique via le numéro vert 0800.130.000. L'objectif est aussi de désengorger le 15 qui, en moyenne, reçoit 5 000 appels par jour, notamment pour des anxiétés.
Le virus fait aussi ressurgir des frayeurs plus… matérielles. « Les émotions sont contagieuses, constate Saverio Tomasella. On a d'abord peur pour ses proches, pour soi, puis de ne pas avoir assez à manger, de perdre son travail… C'est un effet domino. »
Depuis que le pays est en partie à l'arrêt, victime d'une sorte d'embolie généralisée, près de neuf Français sur dix craignent de voir l'économie s'effondrer. Et d'en payer les pots cassés. Un tiers a peur de perdre son emploi. Chez la société Psy France, qui accompagne des salariés en souffrance, on note « une recrudescence des appels depuis jeudi dernier ». « Le temps que les gens s'organisent pour le confinement et prennent conscience de la situation », témoigne Benoît Hérard, directeur de la société qui compte 350 psychologues.
« Outre les appels, nous continuons d'intervenir sur les lieux, par exemple dans des maisons de retraite auprès des personnels » poursuit le responsable. Parmi les inquiétudes qui reviennent le plus en ligne : « Va-t-on réussir à poursuivre l'activité ? », « Vais-je retrouver mes collègues en bonne santé ? », « L'entreprise aura-t-elle les moyens de nous garder »…
Épouse de soignant, Bénédicte tente de garder la tête froide : « En qualité de famille de soignant, nous avons aussi une mission : les aider à supporter ce qu'ils vivent, leur donner de l'énergie, un peu de joie de vivre en dehors de l'hôpital. Si mon mari et donc nous, sa famille, nous trouvions infectés, ce serait la fatalité. Mais la peur n'y changera rien, la panique encore moins. »
Méthodologie du sondage
L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 3 011 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d'agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 23 mars 2020.