- English
- Français
Benjamin Stora, vous avez été pris à partie dans un hors-série de Valeurs Actuelles consacré à l’Algerie. Qu’en est-il ?
J’ai été surpris par ce portrait à charge dans ce hors-série consacré à « l’Algérie française ». Il n’est jamais question de mes travaux, commencés il y a quarante ans, par exemple sur la mémoire et l’histoire de cette guerre ; sur l’histoire singulière des juifs d’Algérie, ou les particularités du nationalisme algérien avec les biographies de Ferhat Abbas ou de Messali Hadj que j’ai établi depuis fort longtemps. Sur quatre pages, il est exclusivement question de mon physique avec une prise de poids correspondant à l’élévation de mon statut social ; d’une activité politique dans l’ombre par mes conversations avec différents Présidents de la République ; et de la difficulté à m’intégrer dans la société française par la façon de me considérer comme un immigré…. Ce sont des vieux clichés sur les « juifs de cour » que l’on trouve dans une certaine littérature depuis fort longtemps. Je demande que l’on me juge, que l’on me critique, sur mes publications et non sur des critères physiques ou pseudo-psychologiques.
Sur quels sujets travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur un projet compliqué à savoir comment la guerre d’Algérie a changé en profondeur la société française. Avec la naissance de la Vème République et la dislocation, la recomposition de tout le paysage politique français, à droite comme à gauche ; la redéfinition du nationalisme français, avec la perte de l’Empire colonial ; la fin du monde rural et le passage à l’importance des villes, des banlieues ; ou de l’arrivée des pieds-noirs, et des juifs d’Algérie, dans les années 1960…. La France en guerre d’Algérie va profondément changer entre 1954 et 1962.
En tant que président du Musée de l’immigration, quels sont les thèmes qui vous préoccupent et les textes législatifs en débat ont-ils une incidence sur votre activité ?
Depuis mon arrivée dans ce Musée en 2014, je me suis attaché, surtout, à la confluence entre mémoires de chaque communauté, et histoire nationale républicaine. La séparation, le cloisonnement des mémoires, la concurrence victimaire sont des freins à la construction d’un récit commun, et favorise un communautarisme dangereux. Bien sûr, l’histoire de la solidarité avec les migrants, sur la longue durée, entre dans ce cadre général. Différents débats sont aussi organisés sur les projets législatifs actuels, et les questions d’hospitalité et d’intégration.
***
Le 9 novembre, l'historien Benjamin Stora avait également publié sur son site internet : À propos d'un article paru dans le hors-série de "Valeurs actuelles", octobre 2019
Le numéro hors-série d’octobre 2019 de Valeurs actuelles sur « l'Algérie française » a consacré plusieurs pages à mon parcours sous le titre « Un historien officiel ». Cet article ne cite aucun titre de mes livres, et ne fait jamais référence (y compris pour les critiquer) aux thèmes de mes travaux comme l’histoire des juifs d’Algérie, l’histoire de Messali Hadj et la guerre des nationalistes algériens, ou encore l’histoire de François Mitterrand et des guillotinés à partir d’archives inédites, ect, ect)….. Mais il s’attarde sur d’autres aspects. Cet article est antisémite, voici pourquoi.
C’est le portrait d’un homme avide d’ambition et d’honneurs qui est ici dressé, hantant les couloirs du pouvoir, à la recherche de récompenses. C’est une description s’inscrivant dans la tradition classique antisémite des « juifs de cour » que l’on pouvait lire dans la presse d’extrême-droite au moment de l’Affaire Dreyfus, par exemple à propos de Bernard Lazare.
C’est une attaque fondée sur une description de mon physique. Ma prise de poids, notion qui revient à trois reprises dans l’article, s’explique non par les épreuves traversées dans ma vie (la perte de ma fille victime d’un cancer, mes crises cardiaques, ou les violentes agressions venant du monde intégriste dans les années 1990), mais par ma progression dans les couloirs du pouvoir. Cette obsession sur mon poids suggère l’expression d’un enrichissement, qui peut également se lire dans la presse antisémite, appliquée par exemple à Adolphe Crémieux ou Léon Blum.
C’est une charge contre les intellectuels qui travaillent dans un cadre universitaire, donc qui fabriquent un « Système », et des histoires officielles. Là encore, la haine des intellectuels d’origine juive est une vieille recette, déjà appliquée à des hommes comme Jacques Attali (cité dans l’article).
À travers cet article d’un journaliste, ancien rédacteur en chef de Minute, on peut donc s’interroger sur la véritable nature de ce journal.
Benjamin Stora