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Par Marc Knobel, directeur des Études au Crif
Cette seule proposition d’une résolution -pourtant non contraignante- suscite la polémique. De petits groupes militants exploitent le sujet et parlent de censure. Pourtant, il n’a jamais été question d’empêcher la critique d’une politique et/ou d’une raison d’Etat et de débattre du conflit israélo-palestinien, bien évidemment. Ce conflit imprègne tant l’actualité et suscite tant la controverse, que l’on devrait rire des accusations et des incantations enflammées d’un certain militantisme propalestinien. Par ailleurs, il faut rappeler que le cadre avait été rappelé par le président de la République, lors du dîner annuel du Crif : « il ne s'agit pas de modifier le Code pénal, encore moins d'empêcher ceux qui le veulent de critiquer la politique israélienne. »
Alors quoi ? Certains s’accommodent lorsqu’ils parlent d’antisémitisme de dénoncer exclusivement l’antisémitisme qui proviendrait de l’extrême-droite et d’évoquer uniquement la Shoah. Sans pour autant faire référence à la judéophobie assassine de l’islamisme radical et de la volonté de supprimer Israël.
L’antisionisme est un paravent et souvent un alibi.
Pourquoi ?
1) On pouvait/peut entendre « Mort aux Juifs » dans certaines manifestations ou « Retourne chez toi à Tel Aviv », sur fond d’hystérisation et de diabolisation d’un Etat et de son peuple.
2) Par ailleurs, dans ces campagnes, l'amalgame commis entre Israël, les juifs et le capitalisme international a des consonances historiques trop fortes pour qu'on le laisse se développer en toute impunité.
3) C’est ainsi que les auteurs/militants visent non seulement à dénier à Israël sa légitimité à exister en tant qu'Etat, ils excommunient Israël de la communauté des nations.
4) L’objet de cette campagne-propagande antisioniste hystérique a pour but de réduire une nation, composée d'individus aux opinions et aux engagements aussi différents que ceux qui peuvent exister en France, en un unique ennemi désincarné et sans humanité. Il s'agit donc d'une punition collective aberrante.
5) Par ailleurs, ils importent le conflit israélo-palestinien en France, alors que cette démarche -bien souvent- communautaire est extrêmement dangereuse et d'une absurdité sans nom. Bref, ce qu'ils font est totalement contre-productif et ne sert pas du tout les intérêts de la paix entre les israéliens et les palestiniens.
6) L'Etat juif est (toujours) traité quelque part comme le Juif des Etats.
Au final, cette proposition de résolution non contraignante fixe aussi un cadre. Si, aujourd’hui, se coagulent des antisémitismes de nature différente et des histoires différentes, l’antisionisme absolu (non la critique d’une politique) provoque de l’antisémitisme. Pour éclairer nos lecteurs, nous proposons dans ce document de travail, de revenir sur la genèse d’une résolution et d’un débat sur l’antisémitisme contemporain.
Créée en 2000 (1) à l’occasion du Forum international de Stockholm sur l’Holocauste, l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (IHRA) est un organisme intergouvernemental ayant pour but de promouvoir l’enseignement, la recherche et la mémoire de la Shoah. L’UNESCO, les Nations unies, le Conseil de l’Europe, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ainsi que la Conference for Jewish Material Claims against Germany, sont des partenaires internationaux permanents auprès de l’IHRA.
Son objectif premier est de mettre en œuvre les engagements de la Déclaration du Forum International de Stockholm sur l’Holocauste, signée en l’an 2000 par 32 pays dont la France.
Les membres du Groupe de travail sont engagés envers la Déclaration du Forum international de Stockholm sur l’Holocauste, qui se lit comme suit (2):
1. L’Holocauste (Shoah) a foncièrement remis en question les fondements mêmes de la civilisation. Le caractère unique de l’Holocauste gardera une signification universelle à tout jamais. Alors que cinquante ans se sont passés, les événements restent encore suffisamment proches pour que des survivants témoignent encore des horreurs subies par le peuple juif. Les souffrances terribles endurées par les millions d’autres victimes des nazis ont également laissé une marque indélébile à travers l’Europe.
2. L’ampleur de l’Holocauste, planifié et perpétré par les nazis, doit rester pour toujours gravé dans notre mémoire collective. Le sacrifice désintéressé de ceux qui ont défié les nazis, qui ont parfois offert leur propre vie pour protéger ou venir en aide aux victimes de l’Holocauste, doit également rester marqué dans nos cœurs. Les profondeurs de l’horreur qu’ils ont vécue et les sommets atteints par leur héroïsme peuvent nous aider à comprendre la capacité de l’homme à faire le bien ou le mal.
3. Si l’humanité est encore terrifiée par le génocide, le nettoyage ethnique, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, la communauté internationale partage la responsabilité solennelle de combattre ces maux. Ensemble, nous devons soutenir la vérité terrible de l’Holocauste contre ceux qui en nient la réalité. Nous devons renforcer l’engagement moral de nos peuples et l’engagement politique de nos gouvernants afin de nous assurer que les générations futures comprendront les causes qui ont mené à l’Holocauste et réfléchiront sur ses conséquences.
4. Nous promettons d’accroître nos efforts de promotion de l’éducation, du souvenir et de la recherche au sujet de l’Holocauste, aussi bien dans les pays qui ont déjà fait beaucoup à ce sujet que dans ceux qui choisissent de se joindre à nous dès maintenant.
5. Nous partageons l’engagement d’encourager l’enseignement de l’Holocauste sous toutes ses formes. Nous ferons la promotion de cette étude dans nos écoles et universités ainsi que dans nos communautés, et nous l’encouragerons dans les autres institutions.
6. Nous partageons l’engagement de commémorer les victimes de l’Holocauste et d’honorer ceux qui l’ont combattu. Nous encouragerons dans nos pays toutes les formes adéquates de souvenir, y compris la célébration, une fois par an, d’un Jour du Souvenir de l’Holocauste.
7. Nous partageons l’engagement de jeter toute la lumière sur les zones d’ombres qui persistent encore au sujet de l’Holocauste. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires à l’ouverture des archives, afin de nous assurer que tous les documents portant sur l’Holocauste sont mis à la disposition des chercheurs.
8. Il nous semble approprié que cette conférence internationale, la première réunion importante de ce nouveau millénaire, déclare qu’elle s’engage à semer les graines d’un avenir meilleur dans la terre d’un passé amer. Nous nous identifions aux victimes et à leurs souffrances et nous puisons notre inspiration dans leur lutte. Nous nous engageons à nous rappeler de ceux qui ont péri et à respecter les survivants. Nous réaffirmons l’aspiration, commune à toute l’humanité, à une compréhension mutuelle et à la justice.
L’IHRA explique son fonctionnement de la manière suivante (3). Elle compte actuellement 32 pays membres, deux pays en liaison/relation et huit pays observateurs. Le gouvernement national de chaque pays forme une délégation, généralement composée d'éducateurs, d'universitaires et de représentants.
La présidence de l'IHRA est assurée chaque année par un pays membre différent, sur une base volontaire. La présidence accueille les réunions plénières de l'IHRA jusqu'à deux fois par an.
La plénière est l'organe de décision officiel de l'IHRA. Elle est composée du chef de délégation de chaque pays membre de l'IHRA. Elle est responsable de l'adoption des recommandations et des décisions prises par les experts de l'IHRA. Ces experts se réunissent dans des groupes de travail et des comités spécialisés les jours précédant la session plénière. Ils travaillent ensemble mais à distance, sur des projets multinationaux pendant le reste de l'année. La composition unique de l'IHRA est idéalement placée pour prendre la tête des questions liées à l'éducation, à la recherche et à la commémoration de l'Holocauste sur la scène politique internationale (4).
Le 1er juin 2017, le Parlement européen adopte une proposition de résolution « sur la lutte contre l’antisémitisme », initiée et rédigée par les présidents du Groupe de travail sur l'antisémitisme au Parlement européen.
Globalement, elle suggère des mesures pratiques pour relever tous les défis auxquels la communauté juive est confrontée.
Elle demande aux États membres et aux institutions bruxelloises de prendre des mesures supplémentaires pour combattre « les discours de haine et toutes les formes de violence à l’égard des citoyens juifs européens ».
Elle souhaite que la définition de l’antisémitisme (prévalant au sein de l’Union européenne) soit celle qu’utilise l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah.
A. considérant que le nombre d’actes antisémites commis dans les États membres de l’Union a fortement augmenté ces dernières années, comme l’ont relevé, entre autres, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA);
B. considérant qu’il a été montré que des mesures de sécurité ciblées, une fois mises en place, contribuent à prévenir les agressions à caractère antisémite et à en réduire le nombre;
C. considérant que la lutte contre l’antisémitisme est une responsabilité de la société dans son ensemble;
1. souligne que les discours de haine et toutes les formes de violence à l’égard des citoyens juifs européens sont incompatibles avec les valeurs de l’Union européenne;
2. invite les États membres et les institutions et agences de l’Union à adopter et à appliquer la définition opérationnelle de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA)1, afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites de manière plus efficiente et efficace, et engage les États membres à suivre l’exemple du Royaume-Uni et de l’Autriche à cet égard;
3. invite les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer activement à assurer la sécurité de leurs citoyens juifs et des infrastructures religieuses, éducatives et culturelles juives, en étroite concertation et en menant un dialogue avec les communautés juives;
4. se félicite de la nomination d’un coordinateur de la Commission chargé de la lutte contre l’antisémitisme, et demande instamment à la Commission de mettre à disposition tous les outils et les appuis nécessaires pour que cette fonction soit la plus efficace possible;
5. invite les États membres à nommer des coordinateurs nationaux chargés de la lutte contre l’antisémitisme;
6. encourage les députés des parlements nationaux et régionaux et les dirigeants politiques à condamner systématiquement et publiquement les déclarations antisémites et à prononcer des contre-discours, ainsi qu’à constituer des groupes parlementaires contre l’antisémitisme réunissant plusieurs partis, afin de renforcer la lutte dans l’ensemble de la classe politique;
7. souligne que les organisations de la société civile et l’éducation jouent un rôle essentiel dans la prévention de toutes les formes de haine et d’intolérance et la lutte contre celles-ci, et demande de leur accorder un soutien financier plus important;
8. invite les États membres à encourager les médias à valoriser le respect de toutes les convictions et la diversité, ainsi que la formation des journalistes relative à toutes les formes d’antisémitisme, afin de lutter contre les préjugés éventuels;
9. invite les États membres dans lesquels il n’y a encore eu aucune invocation de motifs fondés sur la race, la nationalité ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions en tant que circonstance aggravante dans le cadre d’une infraction pénale à remédier à cette situation dans les plus brefs délais et à appliquer pleinement et correctement la décision cadre du Conseil sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, afin de veiller à ce que les actes antisémites soient poursuivis par les autorités des États membres, aussi bien en ligne qu’hors ligne;
10. insiste sur la nécessité de fournir aux autorités répressives des formations ciblées sur la lutte contre les crimes de haine et la discrimination, ainsi que de mettre en place des unités spéciales de lutte contre les crimes de haine au sein des forces de police lorsque de telles unités n’existent pas encore, et invite les agences de l’Union et les organisations internationales à épauler les États membres dans l’organisation de telles formations;
11. prône la coopération transfrontalière à tous les niveaux dans le cadre des poursuites pour crimes de haine et surtout des poursuites pour infractions pénales graves, telles que des activités terroristes;
12. invite l’Union européenne et ses États membres à redoubler d’efforts pour assurer la mise en place d’un système complet et efficace de collecte systématique de données fiables, pertinentes et comparables en matière de crimes de haine, avec une ventilation selon la motivation et comprenant les actes de terrorisme;
13. demande aux États membres, eu égard au code de conduite convenu entre la Commission et les grandes entreprises de technologies de l’information, d’encourager les intermédiaires en ligne et les plateformes de médias sociaux à prendre des mesures urgentes pour prévenir et combattre les discours de haine antisémites en ligne;
14. souligne que l’école offre une occasion unique d’inculquer les valeurs de tolérance et de respect, puisqu’elle s’adresse à tous les enfants dès leur plus jeune âge;
15. encourage les États membres à promouvoir l’enseignement de l’Holocauste (la Shoah) à l’école et à veiller à ce que les enseignants soient correctement formés pour remplir cette mission et pour appréhender la diversité dans les classes; invite en outre les États membres à envisager une révision des manuels scolaires pour s’assurer qu’ils traitent de l’histoire juive et de la société juive contemporaine de manière exhaustive et équilibrée, en évitant toute forme d’antisémitisme;
16. demande à la Commission et aux États membres d’accroître le soutien financier en faveur d’activités ciblées et de projets éducatifs, d’instaurer et de consolider des partenariats avec des communautés et des institutions juives, ainsi que de favoriser les échanges entre les enfants et les jeunes de différentes confessions dans le cadre d’activités conjointes, en lançant et en soutenant des campagnes de sensibilisation dans ce domaine;
17. invite la Commission à entretenir des contacts étroits avec des acteurs internationaux tels que l’UNESCO, l’OSCE et le Conseil de l’Europe, ainsi qu’avec d’autres partenaires internationaux, afin de combattre l’antisémitisme au niveau international;
18. invite la Commission à réclamer un statut consultatif au sein de l’IHRA;
19. encourage chaque État membre à commémorer officiellement la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, le 27 janvier;
20. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres de l’Union et des pays candidats, ainsi qu’au Conseil de l’Europe, à l’OSCE et aux Nations unies (5) .
Ce vote est le résultat d'efforts notamment du Congrès Juif européen en sa qualité de Secrétaire de ce groupe de travail, qui avait appelé à cette résolution et sensibilisé les députés européens sur la nécessité d'adopter une définition commune de l'antisémitisme.
Le Crif avait sensibilisé certains députés européens français qui avaient exprimé des réserves sur l'importance de ce texte. Et, dans un communiqué publié le 2 juin 2017, le CRIF se félicite de l’adoption de la résolution par le Parlement européen, approuvant le fait qu’elle « identifie […] l’antisionisme à une nouvelle forme d’antisémitisme ». Dans un entretien, Francis Kalifat exprimait la position de l’institution : « Il faut resituer cette résolution dans le cadre européen. Les pays européens se sont saisis de cette définition de l’IHRA comme un texte de référence. Concrètement, il ne pénalisera pas mais il servira d’appui aux policiers, aux juges, aux éducateurs et même aux diffuseurs Internet qui sont souvent démunis car ils n’ont pas de texte de référence (6). »
Cette résolution a été adoptée le 6 décembre 2018 par le Conseil de l'Union européenne, soit les 28 Etats membres.
Elle les invite à suivre les recommandations pour lutter contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, mais elle n'est pas contraignante.
Antisionisme ? Quelle est la position du Président de la République ?
Au cours d'une cérémonie émouvante commémorant la rafle du Vel d'Hiv, le 16 juillet 2017, Emmanuel Macron avait déclaré qu'il ne céderait « rien aux messages de haine, (...) à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme ». Une phrase qui avait suscité les applaudissements dans l'assemblée. « Ce sont toutes ces haines qui se fondent sur ce que l'on est, sur d'où l'on vient, sur ce que l'on croit que nous devons combattre », avait-t-il poursuivi.
Puis, ce fut une des propositions phares du discours d’Emmanuel Macron lors du dîner annuel du Crif, en février 2019.
Le président français disait vouloir alors intégrer l’antisionisme dans la définition française de l’antisémitisme.
« La France, qui l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (IHRA) » (NDLR, qui intègre l’antisionisme), avait-il développé, en martelant que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. »
Quelques minutes avant les annonces d'Emmanuel Macron, le président du Crif, Francis Kalifat, avait appelé de ses vœux l'adoption de cette nouvelle définition. « A l'unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition. (...) Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen, plusieurs Etats membres l'ont déjà intégrée dans leurs propres textes de référence », avait-il argumenté.
Dans son allocution, le président de la République avait précisé qu’« il ne s’agit pas d’empêcher ceux qui veulent critiquer la politique israélienne de le faire, non, ni de revenir sur des sujets que nous connaissons et qui sont ceux de la politique internationale […]. Il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent, derrière le rejet d’Israël, la négation même de l’existence d’Israël, la haine des juifs la plus primaire (7). »
Le Chef de l’Etat veut-il modifier le Code pénal ?
Emmanuel Macron avait indiqué deux choses, sans plus développer, lors de son allocution au dîner du Crif : « Il ne s'agit pas de modifier le Code pénal, encore moins d'empêcher ceux qui le veulent de critiquer la politique israélienne », avait-t-il d'abord déclaré.
Le philosophe Pierre-André Taguieff dans Le Monde (5 mars 2019), note que « la dénonciation du « sionisme mondial » prend souvent une forme complotiste et recycle les stéréotypes associés à la figure mythique du « juif international » ou à celle des « sages de Sion ». Il précise que le mythe antijuif par excellence, celui du « complot juif international », s’est métamorphosé en « complot sioniste mondial », précise-t-il. En ce cas, l’antisionisme se caractérise fortement et il n’est plus une simple opinion. Il porte en germe un projet destructeur, celui de la destruction d’un seul et unique Etat au monde, l’Etat d’Israël.
Dans le magazine de référence L’Histoire d’avril-juin 2019, le philosophe Pierre-André Taguieff ajoute cette précision :
L’« antisionisme » extrémiste ne relève pas bien sûr d'une critique, parfaitement légitime, de la politique mise en œuvre par tel ou tel gouvernement israélien ni même d'une mise en question du projet sioniste tel qu'il s'est historiquement défini. L'antisionisme absolu revient à nier le droit à l'existence d'Israël alors même que cet État existe et que des citoyens israéliens le reconnaissent comme le leur ; il est un appel à son élimination. Cette vision dite « antisioniste » enveloppe des appels à la haine, voire au meurtre. Tout Juif devient un « sioniste » à éradiquer, explique-t-il (8).
L’antisionisme absolu : comment expliquer cette dérive ?
A cette question, dans le magazine L’Histoire, le philosophe Pierre-André Taguieff répond clairement qu’une nouvelle idéologie antijuive s'est élaborée, diffusée puis imposée planétairement depuis l'été 1967, à la suite de la guerre des Six-Jours. Elle ne doit pas être comprise comme une nouvelle forme de racisme visant les Juifs, elle ne se fonde pas sur une doctrine des races, elle n'est pas un racisme antijuif. Elle se présente et s'affirme au contraire comme un antiracisme, accusant les « Juifs sionistes » d'être racistes. Le système de mise en accusation des « Juifs sionistes » est, plus précisément, fondé sur l'appel aux droits de l'homme, sur l'invocation de « la Justice » contre toute oppression, sur l'exigence louable d'une « paix juste » ou sur l'incitation à lutter « contre le racisme ». Mais ces idées sublimes et ces nobles sentiments font l'objet d'une corruption idéologique due à leur infléchissement à la fois populiste et misérabiliste. La conviction populiste peut se résumer ainsi : « Ils [ceux d'en bas] sont meilleurs que nous ». Quant au « misérabilisme », il implique de célébrer un groupe social en tant qu'il serait seul ou particulièrement « souffrant », « misérable » ou « désespéré », donc digne de compassion. Comment ne pas défendre les « victimes » contre leurs « bourreaux » ? Les Palestiniens victimes contre les Israéliens bourreaux ? Ce mythe manichéen est indéfiniment monnayé en slogans (9).
En janvier 2019, le député LREM Sylvain Maillard informe qu’il s’est rendu à Bruxelles avec ses collègues députés européens et à la commission européenne pour travailler sur la définition de l’antisémitisme. Il annonce à cet effet vouloir faire évoluer la définition de l’antisémitisme et son champ habituel, en droit français.
Interrogé par la newsletter du Crif, il précise sa pensée :
« Aussi, je crois qu’il nous faut nous accorder au sein de l’Union européenne sur une même définition afin que l’ensemble des Etats membres puissent lutter efficacement contre l’antisémitisme à l’échelle du Vieux Continent. Je réfléchis actuellement à la manière la plus efficace de faire reconnaitre la définition adoptée par le Parlement européen au sein de nos institutions françaises et de nos administrations (Police, Justice…) »
Sur son blog (10), le député LREM Sylvain Maillard s’en explique : « l’antisémitisme a changé, de nouvelles formes se sont développées et avancent aujourd’hui masquées ». Il précise qu’en tant que « responsables politiques, il nous incombe de réagir face à l’expansion d’un tel fléau, qui affecte notre vivre-ensemble. Mais comment combattre efficacement ce que l’on ne peut nommer précisément ? Il faut définir ce nouvel antisémitisme afin de mieux identifier ses contours et ses ressors ».
Il ajoute enfin : « C’est le sens de la proposition de résolution élaborée par le groupe d’études antisémitisme de l’Assemblée nationale que je préside et que j’entends porter dans l’hémicycle. Cette résolution transpartisane, qui vise à adopter la définition de l’antisémitisme élaborée par l’Alliance internationale de la mémoire de l’Holocauste (IHRA), permettra de disposer d’une définition unifiée de l’antisémitisme afin de raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats et de nos enseignants. Nommer les choses permet de les identifier, de les analyser et de les combattre plus efficacement. »
Sylvain Maillard propose au début du mois de juin 2019 aux parlementaires de voter une résolution visant à approuver la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. Pour Sylvain Maillard, « le sujet fait en effet discussion, tout comme il peut le faire au sein de la société. Pour autant, quelque deux cents députés, issus de divers horizons politiques ont déjà cosigné cette proposition de loi. D’autres députés restent sur leurs positions ou ne partagent pas pleinement l’ensemble de mes motifs. D’autres encore restent simplement à l’écart du sujet mais rien ne dit qu’ils ne voteront pas ce texte. Au cours de ces derniers mois, j’ai pris le temps d’expliquer que, tout comme on ne critique pas l’existence de l’État iranien ou de n’importe quel autre pays, on ne peut pas critiquer l’existence même de l’État d’Israël. Le faire est une sorte d’antisionisme qui est antisémite. En revanche, on a évidemment le droit de critiquer la politique de n’importe quel gouvernement israélien, y compris sur les questions de colonisation et de frontières. Plusieurs de mes collègues avaient besoin que l’on clarifie cette nuance (11). »
À l’affirmation selon laquelle l’adoption de cette définition restera néanmoins « sans valeur contraignante », le député répond : « Une proposition de résolution représente une affirmation forte et solennelle de l’Assemblée nationale. Le président de la République avait déjà, lors du Dîner du Crif, endossé cette définition. On peut dès lors imaginer que ce texte pourra être une référence plaidée par un avocat, une source d’inspiration pour guider une décision juridique, voire une base pour les manuels scolaires quant à la définition de l’antisémitisme. C’est un acte d’inspiration juridique, qui, nous en sommes convaincus, aura une force beaucoup plus forte (12). »
Notes :
1) L’IHRA a été lancé en 1998 par l’ancien Premier ministre suédois Göran Persson.
2) Le Parisien, Le Monde et Libération du 21 février 2019.
3) Voir à ce sujet le site de l’IHRA.
4) Idem.
5) http://www.europarl.europa.eu/
6) Francis Kalifat : « Nous aurions aimé une sortie de la loi de 1881 en ce qui concerne l’antisémitisme et le racisme », Actualité juive, 27 février 2019.
7) Le Parisien, 21 février 2019.
8) Pierre-André Taguieff dans L’Histoire, daté avril-juin 2019 https://www.lhistoire.fr/«-
9) Idem.
10) www.sylvainmaillard.fr, texte publié le 29 mai 2018.
11) http://www.crif.org/fr/
12) Sylvain Maillard : « Cette résolution permettra de dire ce qui est effectivement antisémite », Actualité juive, 6 juin 2019.
13) Idem.