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Marine Le Pen s'est qualifiée pour le second tour. Très vite, des dirigeants politiques et des personnalités, opposés à Emmanuel Macron au premier tour, ont dit qu'ils utiliseraient son bulletin pour faire barrage à Marine Le Pen le 7 mai. Dès le 23 avril, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a lancé un appel clair dans ce sens.
«Marine Le Pen est la candidate de la haine, de la faillite et de la supercherie»
Mais très vite, aussi, une autre musique s'est installée, celle du slogan «Ni Marine ni Macron», du hashtag «Sans moi le 7 mai», une musique rejetant les deux finalistes et les renvoyant dos à dos comme s'ils étaient équivalents ; une musique tactique où l'on garde le silence pour ne pas froisser une partie des siens, une musique alambiquée où l'on considère que l'opposition à Le Pen peut aussi passer par le vote blanc ou l'abstention ; une musique, enfin, qui confond sondages et élection pour dire que Macron a déjà gagné et qu'il n'est nul besoin de se faire peur, ni de voter pour lui. Cette musique, je la trouve insupportable et effrayante. Elle me donne la nausée.
Non, le 7 mai, ce ne sera pas pour ou contre la France comme aimerait le faire croire Marine Le Pen. Ce ne sera pas davantage les «gens» contre l'oligarchie, les europhobes contre les europhiles, les nationalistes contre les mondialistes… Pour ou contre Le Pen. Que l'on aime l'affiche ou qu'on la déplore, on doit faire avec, sans se taire, ni regarder ailleurs.
Marine Le Pen est la candidate de la haine, de la faillite et de la supercherie, celle qui ose tout, qui promet tout et qui peut tout dire et son contraire pour arriver à ses fins. Ainsi, sur l'euro, est-elle capable de clamer, le même jour, que «l'euro est mort» et qu'il est «notre monnaie commune», elle dont l'essentiel du programme économique repose sur une sortie de l'euro, mais qui juge désormais que son abandon n'est plus «un préalable». Un modèle pour tous les joueurs de bonneteau! On pourrait en rire s'il ne s'agissait de l'avenir de la France et de la ruine des Français.
«Marine Le Pen crache un poison mortel, celui du soupçon et de la division»
Elle se réfère au général de Gaulle, elle qui incarne l'héritage de son père, dans un parti fondé par d'anciens collabos et où ses proches amis (Frédéric Chatillon et Axel Lousteau…) sont célèbres pour leurs soirées «pyjama rayé» ou pour leurs saluts ambigus, la main droite levée, quand ce n'est pas la quenelle de Soral et Dieudonné. Un parti où, lorsqu'on gratte le vernis marine, on finit souvent par trouver du vert-de-gris.
Le bonneteau, Marine Le Pen y joue aussi pour la présidence du FN. Le 22 avril, elle nomme Jean-François Jalkh, membre du FN depuis 1974, à la présidence de son parti. Comme celui-ci est accusé d'avoir tenu des propos négationnistes et d'avoir assisté à une messe en souvenir de Pétain, elle l'escamote le 28 avril.
Marine Le Pen joue avec les souffrances et les peurs, elle désigne des boucs émissaires, elle en fait des ferments de haine. Elle tournoie, en fait, au-dessus des problèmes, non pas pour les résoudre, mais pour s'en nourrir ; elle crache un poison mortel, celui du soupçon et de la division.
D'un côté, il y aurait les «vrais Français», ceux qui votent pour elle et à qui elle promet «la priorité nationale». De l'autre, plusieurs ensembles qui rappellent avec effroi les catégories en vigueur pendant les heures noires de notre histoire: les Français récents et tolérés, les Français soupçonnés et sous surveillance, les Français binationaux qui devront choisir une seule nationalité…
«Je souhaite de tout cœur qu'une très large majorité de Français utilisent le seul bulletin permettant d'éviter à notre pays un nouveau cataclysme»
Nous, Juifs, ne sommes jamais loin dans le viseur lorsque quelqu'un fait des listes. D'ailleurs, Marine Le Pen ne nous a pas oubliés, s'inscrivant dans une longue tradition frontiste de refrains hostiles aux Juifs. Quelle catégorie nous réserverait-elle? Son projet d'interdire l'abattage rituel et celui de bannir la kippa de l'espace public sont deux indices et autant d'entraves à la pérennité d'un judaïsme multiséculaire dans notre pays. Ce qui se joue ici, c'est la possibilité même d'une vie juive en France. Marine Le Pen le sait très bien.
Alors, dans cet entre-deux-tours où pèse une musique effrayante par ses silences, je veux citer la déclaration très forte, faite le 30 avril 2017 par trois grandes figures de la résistance et de la déportation: «Nous avons connu “les diables ordinaires” qui peuvent préparer l'enfer. Nous savons jusqu'où mènent l'intolérance et l'exclusion au pouvoir.»
Ce sera un soir de mai 2017. Comme je refuse que le nom Le Pen s'affiche sur l'écran à 20 heures et comme je veux que sa défaite soit écrasante, je souhaite de tout cœur qu'une très large majorité de Français utilisent le seul bulletin permettant d'éviter à notre pays un nouveau cataclysme: le bulletin Emmanuel Macron.